La Finlande a récemment réalisé un inventaire national de son patrimoine vivant. Tandis que le choix du sauna, du Père Noël ou du tango finlandais semble évident pour quiconque connaît un tant soit peu le pays, d’autres éléments du patrimoine figurant sur la liste seront probablement perçus par beaucoup comme moins familiers.
On trouve parmi les éléments du patrimoine inscrits à cette liste en particulier le cirque finlandais et la musique populaire de violoneux emblématique du Festival de Kaustinen, du nom d’une petite ville située à 450 kilomètres environ au nord d’Helsinki. Le ministère finlandais de l’Education et de la Culture est amené à sélectionner tel ou tel élément de l’Inventaire national avant de formuler à son sujet une proposition d’inscription à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.
L’inventaire a été réalisé selon des modalités inhabituelles qui ont été à l’origine de nombreux retours positifs. Le recensement du patrimoine immatériel du pays a débuté après que l’Office national du patrimoine culturel a invité certains des principaux acteurs culturels finlandais de tous domaines à constituer des groupes d’experts appelés à se réunir de façon informelle.
« Ce qu’il y a de formidable dans ce processus, c’est la démarche inclusive qui a été adoptée », dit Johanna Mäkelä, chargée de communication de l’organisme CircusInfo Finland. L’Office national du patrimoine culturel a ouvert une plateforme collaborative où tout le monde avait la faculté de suggérer un nouvel ajout à la liste. Le site internet dédié de l’Office a ainsi reçu plus de 130 propositions formulées dans cinq langues différentes, dont 52 ont fait ensuite leur chemin jusqu’à l’Inventaire national.
« A l’image de la culture immatérielle elle-même, dont le propre est de prospérer à travers l’interaction, la plateforme a permis la participation de chacun à tous les échelons », note Mäkelä. « Ceci a conduit à une prise de décision horizontale, à l’opposé de l’habituel schéma ascendant. »
Une démarche inclusive tous azimuts
De même, un fort esprit communautaire marque profondément la culture finlandaise du cirque. Tous les pratiquants de cet art, qu’ils soient amateurs ou professionnels, sont amenés à intégrer la nécessité qui s’impose à eux de se faire confiance et de se soutenir mutuellement : cet état d’esprit est indissociable des métiers du cirque.
« La Finlande se distingue par la vigueur de son jeune cirque, secteur qui a par ailleurs ceci de particulier que l’intégration sociale y tient une place très importante », indique Mäkelä. « Nous organisons des cours de cirque pour un public de tous âges, et ces cours font aussi fonction d’outil d’intégration sociale pour des publics bien précis comme par exemple les immigrants. »
Le processus de soumission de propositions et la perspective de décrocher au final une place à l’Inventaire national ont eu pour effet de renforcer la coopération à l’échelle nationale entre compagnies de cirque finlandaises. L’organisme CircusInfo Finland, le Sirkus Finland et le Centre pour la promotion des arts (également appelé le Taike selon son abréviation finnoise) ont invité tous les représentants du secteur à se joindre aux échanges », précise Mäkelä. « Le processus a resserré les liens entre les différents acteurs du cirque : c’est une initiative excellente et qui profite à tous et à chacun. »
Un schéma du même type se retrouve dans la défense de l’image de la musique de violoneux de Kaustinen, un style musical populaire qui fédère autour de lui toute la population de la petite bourgade de Kaustinen.
L’inscription à la liste du patrimoine culturel immatériel est conditionnée par une démarche collective : il en est ainsi qu’il s’agisse de cirque, d’un style particulier de musique ou de tout autre élément patrimonial aujourd’hui inscrit à l’inventaire officiel finlandais, entre production artisanale dentellière et soufflage du verre en passant par le lien privilégié qu’entretient la nation finlandaise à sa forêt ou même, particularisme un peu moins flatteur celui-là, la « radinerie » de légende traditionnellement associée aux habitants de la petite commune rurale de Laihia.
Parmi bien d’autres éléments de la liste figurent la proclamation de la Paix de Noël, le poète national finlandais Runeberg, la tradition spécifiquement finlandaise voulant qu’on aille honorer ses défunts au cimetière la veille de Noël, le jeu traditionnel sur gazon dit mölkky, aujourd’hui en pleine renaissance, le droit séculier communément appelé « droit de tout un chacun » assurant la liberté universelle de circuler dans les espaces naturels du pays, le Père Noël avec son caractère bien typé finlandais, le tango finlandais ainsi que la cueillette des aliments sauvages. Le processus de sélection des éléments du patrimoine immatériel n’en reste pas moins d’actualité : même si l’appel à propositions précédent a pris fin en 2017, une nouvelle opportunité de formuler des suggestions s’offrira au public à une date devant être précisée ultérieurement et qui pourrait être fixée au plus tôt en 2019.
Une musique qui résonne dans les mariages et les festivals
Alors que la tradition du cirque est encore relativement récente en Finlande, la musique folk de violoneux de Kaustinen affiche quant à elle une longue histoire.
« Cette tradition correspond à un type de musique qu’interprètent depuis des siècles les musiciens qu’on appelle les pelimanni. Ce style musical nous offre un aperçu exceptionnel de la culture musicale en Finlande au 18ème siècle », nous déclare Matti Hakamäki, directeur du Finnish Folk Music Institute dont le siège se trouve précisément à Kaustinen.
La musique régionale de violoneux réalise une synthèse réussie entre histoire et modernité et doit sa perpétuation jusqu’à nos jours à la ferveur persévérante d’un grand nombre de personnes. Le Kaustinen Folk Music Festival, un événement estival annuel célébrant la culture musicale locale et qui fait aussi une place aux musiques et danses relevant d’autres traditions populaires, existe depuis 1968. D’après Hakamäki, le festival n’a cessé de connaître un franc succès depuis son lancement, si bien qu’aujourd’hui l’événement accueille à chacune de ses éditions pas moins de 5 000 artistes environ originaires du monde entier.
« Avant le démarrage du festival, nous avions dans la région une tradition très vivace voulant que les pelimanni viennent divertir les invités des noces rurales en restant jouer plusieurs jours d’affilée », indique par ailleurs Hakamäki. « Du fait des mutations structurelles qui se sont produites au siècle dernier au sein de la société finlandaise, cette tradition des violoneux a commencé à décliner dans les années 1960. Pour préserver cette culture, des musiciens ont eu l’idée de lui créer un festival dédié. Aujourd’hui, le style folk spécifique que nous appelons la musique de violoneux de Kaustinen est plus vivant que jamais. »
Matti Hakamäki ajoute que la musique qui se joue dans la région n’est pas réservée aux seules célébrations : « C’est aussi un élément essentiel de la vie quotidienne des gens de chez nous, au point qu’on dit qu’il y a un violon dans chaque maison à Kaustinen. »
Un patrimoine culturel qui se laisse découvrir sur scène
L’Inventaire national du patrimoine vivant finlandais comprend aussi le kalakukko, un plat traditionnel de poisson en croûte qui a vu le jour en Savonie, les chants de la communauté rom de Finlande dont la tradition s’est perpétuée oralement de génération en génération au fil des siècles, ou bien encore les pulls en laine tricotés main de Korsnäs, dont les motifs caractéristiques les rendent reconnaissables entre tous. Enfin, de nombreux autres exemples d’éléments du patrimoine immatériel du pays sont associés à une localité en particulier.
« Du fait que Kaustinen se trouvait autrefois très à l’écart des centres urbains et des grandes voies de communication, sa musique s’est développée à son propre rythme en n’intégrant que lentement quelques influences extérieures diffuses », indique Mauno Järvelä, un violoniste et professeur de musique très apprécié qui a lancé la méthode Näppärit, une philosophie de l’éducation musicale reposant sur les musiques traditionnelles. Tous les ans, des centaines d’enfants participent aux ateliers Näppärit ainsi qu’à un concert spécial au Kaustinen Folk Music Festival, contribuant ainsi à assurer la pérennité de la musique folk finlandaise.
« Ce qui donne au style de musique de violoneux de Kaustinen son caractère unique, c’est un rythme particulier qui veut que la dernière mesure soit accentuée », nous explique Järvelä. « Il n’y a pas de structure musicale clairement établie, n’empêche que c’est une musique qui invite à taper du pied et à danser. Pour reprendre la définition qu’en a donné un jour un violoneux, « elle est comme le tourbillon des rapides, elle vous emporte, voilà tout. »
On pourrait en dire autant de nombreux autres éléments de l’Inventaire national du patrimoine vivant finlandais.
Par Mari Storpellinen, avril 2018