« Helsinki est un endroit idéal pour les histoires de fantômes, car de nombreux immeubles du centre-ville possèdent leur fantôme résident. »
Cette affirmation de Karri Korppi, qui dirige l’agence Happy Guide Helsinki spécialisée en visites guidées de la capitale finlandaise, ne manque pas de surprendre. Après tout, Helsinki est quand même plus connue pour son architecture contemporaine de pointe que ses cimetières à l’ambiance sinistre et ses manoirs anciens lugubres aux fenêtres desquels palpite la faible lueur des bougies à la nuit tombée.
Korppi nous explique qu’une bonne partie de la ville telle que nous la connaissons aujourd’hui est en fait construite sur des cimetières. Par exemple, l’église Ulrique-Éléonore qui fut érigée au XVIIIème siècle et que jouxtait un cimetière a été rasée au siècle suivant pour permettre l’aménagement de la vaste place du Sénat, aujourd’hui considérée comme l’un des sites hautement emblématiques d’Helsinki.
Le cimetière ancien qui se confond de nos jours avec un agréable parc voisin de la vieille église d’Helsinki et que borde l’artère arborée appelée le Bulevardi (tout simplement le « Boulevard »), est familièrement désigné du nom de « Parc de la Peste » par les helsinkiens : en effet, des centaines de victimes d’une épidémie de peste furent enterrées ici au XVIIIème siècle. Toutefois, peu de gens savent que ce site funéraire avait été précédé par plusieurs cimetières répartis sur une bonne partie du territoire de l’actuel quartier de Kamppi.
Une dramaturgie de l’horreur
Korppi ne souhaite pas nous indiquer plus précisément la place que tient éventuellement tel ou tel site funéraire ancien de la capitale finlandaise dans les très populaires « Promenades de l’Horreur » qu’organise son agence à Helsinki. « C’est une visite thématique qui fait appel à une mise en scène », dit-il. « Même si nous ne sommes pas des acteurs professionnels, nous mettons en place une forme de dramaturgie afin que nos histoires se déroulent dans un certain ordre. Cela dit, ce n’est un secret pour personne que nous entamons en règle générale notre visite guidée à l’ancienne prison de Katajanokka. »
Les clients de l’hôtel qui occupe désormais les bâtiments reconvertis de ce qui fut l’établissement pénitentiaire de la ville peuvent dormir sur leurs deux oreilles après qu’on leur ait assuré que le fantôme local, même s’il a tendance à l’occasion à claquer les portes, est réputé pour son caractère plutôt amical à tous autres égards. On prétend par ailleurs qu’un autre fantôme célèbre, le spectre décapité d’un colonel prénommé Aleksi, hante un immeuble du quartier de Kruununhaka dont il utiliserait l’ascenseur en pleine nuit pour faire des allers-retours tout en tenant sa tête sous le bras.
On ne sait pas bien si cette apparition est à relier au spectre d’un soldat sans tête que l’on aurait vu errer sur la petite île de Vallisaari, initialement rattachée à la forteresse maritime de Suomenlinna située en rade d’Helsinki, ou si la capitale finlandaise est juste un endroit où les fantômes décapités se plaisent plus particulièrement.
Une cave habitée par un esprit
Les chasseurs de fantômes de passage à Helsinki ont donc la possibilité de s’adresser au professionnel de premier plan qu’est l’agence Happy Guide Helsinki, celle-ci étant d’ailleurs en mesure de leur proposer aussi bien des visites privées qu’en groupe. L’autre option qui s’offre au visiteur consiste à participer aux « Ghost Walks » qu’organise le Musée municipal d’Helsinki (ces promenades guidées ont lieu en finnois et occasionnellement en anglais) au départ du musée, à l’adresse Aleksanterinkatu 16, et qui ont pour destination le quartier de Kamppi.
Prise dans son ensemble, Helsinki donne l’image d’une métropole moderne qu’on n’imaginerait guère abriter autant de revenants : c’est cette remarque que j’ai formulée à Karri Korppi et à son collègue Emil Anton quand je les ai rencontrés dans l’élégant restaurant Kappeli, un établissement ouvert vers la fin du XIXème siècle dans les jardins de l’Esplanade.
Je me suis surpris à jeter un coup d’œil furtif derrière moi et j’ai senti les poils de ma nuque se hérisser quand Korppi et Anton m’ont raconté l’histoire du kellarin kummitus, le fantôme de la cave de ces lieux.
De façon caractéristique, le point commun des esprits qui hantent Helsinki semble être qu’ils sont moins ouvertement malveillants que d’humeur simplement irritable, à quoi s’ajoute souvent une certaine tendance à jouer des tours à leur façon : c’est aussi le cas de l’hôte immatériel du Restaurant Kappeli. « Il s’agit de l’esprit de Josef Wolontis, qui gérait cet établissement dans les années 1880 et 1890, époque où l’endroit était le point de ralliement du compositeur Jean Sibelius et de l’artiste peintre Akseli Gallen-Kallela, qui venaient souvent y étancher leur soif », raconte Korppi.
Wolontis avait l’habitude d’offrir tous les lundis un petit déjeuner gratuit aux hôtes de son restaurant qui y avaient festoyé la soirée et la nuit précédentes. C’était un homme très apprécié de la clientèle, connu à son époque comme une sorte de grand patron à la tête d’une importante chaîne de restaurants, d’où une position de quasi-monopole dans son secteur. À en croire Korppi, Wolontis est aujourd’hui le revenant le plus grognon d’Helsinki du fait que les restaurants dont il avait jadis la responsabilité ont perdu leur monopole avec le temps. Quoi qu’il en soit, le personnel du Kappeli vaque à ses occupations sans sembler s’inquiéter outre mesure de la présence du fantôme, même si plusieurs employés assurent avoir été témoins de la manie très spéciale de l’esprit de la cave consistant à déplacer des meubles dans le restaurant, toujours pendant les heures de fermeture nocturne.
Légendes urbaines
Il s’agit là du type même d’anecdotes qui ne manque pas de plaire tant aux helsinkiens qu’aux visiteurs. « Même les gens qui ont passé toute leur vie ici trouvent parmi toutes les histoires que nous sommes en mesure de leur raconter des faits dont ils n’avaient jamais entendu parler », assure Korppi. « Nous révélons la face cachée d’Helsinki à travers ses histoires de fantômes et ses légendes urbaines diverses. Parmi celles-ci, on trouve en particulier des théories conspirationnistes ainsi que des meurtres ayant défrayé la chronique en leur temps. »
Les experts en traque des fantômes croient-ils eux-mêmes aux apparitions ? « Je m’intéresse aux maisons hantées et aux fantômes depuis que ma propre sœur a aperçu à plusieurs reprises une silhouette de dame évanescente errer autour de notre maison familiale située dans la petite ville de Kouvola, en Finlande du Sud-Est », confie Korppi. « Quant à savoir ce qu’est exactement ce que les gens appellent un fantôme, c’est une autre histoire. »
« Je suis prêt à admettre le fait que l’esprit de certains défunts puisse se manifester », poursuit Emil Anton. « Nous avons eu connaissance de tant d’expériences différentes qui nous ont été rapportées par de nombreux témoins. L’accumulation de toutes ces observations m’incline plutôt à accepter l’hypothèse de la réalité des apparitions fantomatiques qu’à la rejeter. »
Où chercher des fantômes dans la capitale finlandaiseVisites guidées Helsinki Horror Walks avec l’agence Happy Guide Helsinki (en finnois et en anglais) • Helsinki City Museum’s Ghost Walks, Promenades guidées Ghost Walks du Musée municipal d’Helsinki (occasionnellement proposées en anglais) avec trois itinéraires différents : la Promenade classique à la rencontre des fantômes, le Ghost Walk à travers le quartier de Kruununhaka et la visite spéciale From Töölö to the Beyond (« De Töölö à l’au-delà ») |
Par Tim Bird, octobre 2019