Le site de Vallisaari, l’une des 330 îles qui composent l’archipel d’Helsinki, était autrefois jugé suffisamment important sur le plan géopolitique pour que les Suédois et les Russes se soient disputé l’île par les armes il y a plus de 200 ans, et suffisamment stratégique pour avoir été utilisé par la suite par l’armée finlandaise pour verrouiller l’accès à la capitale par la mer ou par les airs.
Valli est un mot finnois signifiant « remblai » ou « rempart », tandis que saari veut dire « île ». Aujourd’hui, la flore et la faune uniques et les fortifications anciennes préservées qui caractérisent l’île de Vallisaari en font une destination de grand intérêt pour les passionnés de nature ayant envie de faire une sortie au grand air dans la région d’Helsinki. Le cadre est également pittoresque à souhait : on y profite aussi bien d’une vue sur la mer que sur les îles voisines et les tours et autres édifices imposants de la capitale, visibles de l’autre côté du bras de mer.
C’est l’occasion qu’offre cette île de combiner la nature et l’art qui a convaincu les organisateurs de fixer leur choix sur Vallisaari comme site de la première Biennale d’Helsinki, un événement artistique international d’accès gratuit qui mettra à l’honneur de nombreuses œuvres d’art contemporain du 12 juin au 26 septembre 2021.
Un archipel comme écrin à l’art
« Il y a une vibration exceptionnelle qui se fait sentir à Vallisaari », observe la plasticienne finlandaise Maaria Wirkkala, dont le travail sera exposé sur l’île. « C’est comme un endroit qui aurait été touché par une force inconnue, en même temps on y perçoit quelque chose qui nous révèle une partie de notre mémoire collective, comme une zone grise dont la définition a fini par échapper à notre monde contemporain. »
L’île n’est ouverte au public que depuis 2016. Des fortifications militaires y furent érigées au cours du 19ème siècle, puis une tragédie s’y produisit en 1937 avec l’explosion d’un arsenal bourré d’explosifs qui fit douze morts. Vallisaari abritait encore un petit village dans les années 1950, mais l’île s’est progressivement vidée de ses quelques habitants jusqu’à être devenue inhabitée à partir des années 1990.
« La combinaison exceptionnelle du cadre bâti de l’île et d’un contexte historique qui a longtemps gardé ce site sous cloche, comme protégé du monde extérieur, sans oublier sa faune et sa flore sauvage spécifiques, c’est cela qui fait de Vallisaari à la fois un véritable microcosme naturel et un endroit tout à fait hors du commun pour un artiste », nous explique Wirkkala.
Des contributions artistiques en provenance du monde entier
Quelque 35 artistes de Finlande et du monde entier présenteront leurs œuvres tant en plein air que dans les différentes bâtisses historiques et autres anciens entrepôts souterrains de poudre à canon que compte Vallisaari. Des expositions seront également organisées au Musée des beaux-arts d’Helsinki, situé dans le centre-ville, ainsi que dans le cadre de différents événements satellites programmés dans la capitale intra-muros.Un pavillon éphémère en bois érigé au bord de la mer entre le Marché couvert ancien d’Helsinki et deux nouveaux quais eux aussi spécialement aménagés pour l’occasion, servira de point de départ pour les bacs assurant la traversée à destination de l’île. Les visiteurs auront également la possibilité d’emprunter un ferry municipal dont l’itinéraire décrit une boucle entre les quais d’Helsinki, les petites îles de Vallisaari et Lonna et la forteresse insulaire de Suomenlinna, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Des œuvres qui se fondent dans l’environnement insulaire
On peut citer parmi les exposants Paweł Althamer, Katharina Grosse, Gustafsson & Haapoja (un duo composé de l’écrivaine Laura Gustafsson et de l’artiste Terike Haapoja), Hanna Tuulikki, IC-98 (un autre duo dont les membres s’appellent Visa Suonpää et Patrik Söderlund), Marja Kanervo, Tadashi Kawamata, Alicja Kwade, Laura Könönen, Tuomas A. Laitinen, Jaakko Niemelä et Mario Rizzi. D’autres participants seront annoncés à l’approche de l’ouverture de la Biennale.
Tous les artistes ont été invités à créer des œuvres en résonance avec l’environnement de l’île. À cette fin, les organisateurs de la première Biennale d’Helsinki ont choisi un sous-titre pour compléter le nom officiel de l’événement : The Same Sea (« La même mer »), façon de mettre délibérément l’accent sur l’interdépendance entre la nature et tous les humains.
Pirkko Siitari et Taru Tappola sont les commissaires en titre de l’exposition. Dans un communiqué de presse, elles expliquent : « La crise écologique se traduit par le fait que nous nous trouvons aujourd’hui à l’aube de changements phénoménaux, et c’est précisément ce constat-là qui définit notre avenir commun, où que nous habitions sur la planète. Les mots The Same Sea font donc référence à cette situation. Le changement climatique en marche peut en effet faire penser à la mer en ce sens que c’est un ensemble complexe et mouvant qui se joue des frontières tout en présentant un aspect en perpétuelle évolution et qui diffère en fonction de la perspective. »
Comprendre les enjeux écologiques
Afin d’inscrire l’événement dans une cohérence par rapport aux exigences de la durabilité, la Biennale d’Helsinki a mis en place un partenariat avec BIOS Research, un organisme finlandais qui mène des études sur les relations entre l’environnement et l’économie, la politique et la culture.
« De nombreuses œuvres qui seront exposées interrogeront la nature, les processus biologiques et les technologies, tout en questionnant le visiteur sur les interactions humaines et l’empathie dont est capable l’être humain, le tout s’inscrivant dans la toile de fond du temps et de l’Histoire », explique la directrice de la Biennale Maija Tanninen-Mattila.
« Le choix de mettre l’accent sur les notions d’universalité et de communauté de la mer renvoie à une métaphore de l’interdépendance. Afin d’assurer notre survie et de réussir, peut-être, à résoudre la crise écologique, il est essentiel que nous comprenions le rapport de dépendance qui nous lie aussi bien les uns aux autres qu’à notre environnement et à toutes les autres créatures vivantes, car c’est cette prise de conscience qui se sera opérée en chacun d’entre nous qui nous conduira à passer à l’action. »
En interaction avec l’île
Tanninen-Mattila ajoute que les défis que soulève l’organisation d’une exposition sur une île écologiquement sensible sont nombreux. « Nous avons travaillé en étroite collaboration avec des biologistes experts de la conservation du milieu naturel et les services de l’Etat en charge du patrimoine pour installer les œuvres d’art dans l’écrin de la nature », précise-t-elle. « Nous avons également choisi des œuvres d’art qui nous semblaient avoir la capacité de survivre dans des conditions non muséales, la plupart d’entre elles ayant d’ailleurs une vocation éphémère. » Il est intéressant de noter à ce sujet que de nombreux exposants s’apprêtent à créer leurs œuvres directement sur place, sur l’île même.
« Les artistes ont senti que Vallisaari était propice à leur inspiration et ont entrepris de créer leurs œuvres en interaction avec l’île. Le cadre de celle-ci a le propre de susciter des rencontres d’une intensité particulière entre le lieu en lui-même, l’art, la nature et les visiteurs. Nous espérons également toucher de nouveaux publics a priori intéressés par la visite de l’île mais qui n’iraient pas forcément voir une exposition d’art contemporain en tant que telle. »
Par Michael Hunt, février 2020