Du vin finlandais en France

Il est peu banal qu’un Finlandais achète un cru bordelais en s’affranchissant des traditions viticoles locales.

Il n’est déjà pas banal qu’un Finlandais achète une exploitation viticole dans le bordelais tout en s’affranchissant des méthodes de production traditionnelles, mais le plus étonnant est qu’il soit parvenu à développer des vins réputés, riches d’une âme et d’un caractère distinctifs.

Pour dénicher la seule exploitation viticole de France possédée par un Finlandais, mettez le cap sur le sud-ouest, puis une fois à Bordeaux dirigez-vous vers la petite ville de Beguey, située à 40 km environ de la capitale de l’Aquitaine : c’est sur un plateau, à 2,5 kilomètres de là, que vous trouverez le vignoble du Château Carsin, propriété de Juha Berglund et de sa sœur Liisa.

Bien que la voie qu’il a empruntée ait été ardue, Berglund n’a pas eu à regretter son choix : aujourd’hui, il est le seul producteur de vin finlandais connu à l’international grâce à des vins qu’il exporte dans de très nombreux pays. Arrivé dans la région de Bordeaux en 1990 sans parler le français ni connaître les usages du terroir local, sans même pratiquement aucune expérience en production viticole, il s’est lancé dans le métier comme on se jette à l’eau.

« Je me destinais à devenir violoniste, mais beaucoup de choses de la vie nous arrivent de façon imprévisible », dit Berglund. « J’ai eu de la chance de pouvoir faire quelque chose qui m’inspirait de la passion. »

Une histoire d’amour avec le vin

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Juha Berglund commercialise ses vins dans le monde entier ; il est aussi le seul viticulteur finlandais connu à l’international.Photo: Amanda Soila

L’histoire d’amour de Berglund avec le vin a démarré pour des « raisons purement futiles » : un des ses camarades d’université étant revenu d’un voyage à Paris en se vantant de ses connaissances approfondies en œnologie, Berglund décida de lui prouver qu’il en savait plus encore que lui sur le vin, histoire de montrer à l’autre « qui était le plus fort ».

Il se mit à participer à des dégustations à l’aveugle pour s’habituer à déterminer l’origine des vins. Après de nombreux crus goûtés dans les règles de l’art, il ouvrit dans le centre ville d’Helsinki un magasin sous l’enseigne Decanter, où se vendaient différents articles et accessoires en rapport avec le vin.

Quelques années plus tard, il entreprit de publier une prestigieuse revue œnologique intitulée Viini, devenue aujourd’hui une entreprise distincte, chargée par ailleurs en partie de l’organisation d’une foire aux vins qui se tient régulièrement en Finlande. Il cosigna également avec son collègue Antti Rintahuumo le guide Viinistä viiniin (« D’un vin à l’autre »), un ouvrage paraissant une fois par an où sont recensés un grand nombre de crus.

Un important effort financier

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La réalisation du rêve d’une vie : Juha Berglund et sa sœur Liisa sont propriétaires et exploitants du Château Carsin.Photo: Château Carsin

Berglund fit finalement l’acquisition des terres nécessaires à la réalisation de son rêve pour environ 25.000euros l’hectare. « Comme je voulais tenter une démarche nouvelle avec le vin et me lancer dans le commerce viticole, j’ai proposé à deux de mes sœurs d’acheter des terres viticoles en France, de préférence dans le bordelais. Nous avons fini par trouver une exploitation de 14 hectares, avant d’acquérir 8 hectares de plus dans le village voisin de Rions. Autrement dit, c’est sur un vignoble de 22 hectares que nous avons produit notre première cuvée en 1990 », nous explique fièrement Berglund.

Actuellement, le rendement sur la région de Bordeaux est d’environ 7000 bouteilles l’hectare, le chiffre d’affaires d’une exploitation viticole variant entre 20.000 et 50.000 euros par hectare.

Pour Berglund, l’important n’était pas à l’origine de se contenter de gérer la vigne de façon conventionnelle, mais de développer une valeur ajoutée grâce à des procédés de vinification modernes. Quand il fit l’acquisition du Château Carsin, l’entrepreneur finlandais décida ainsi de suivre une voie différente de celle des autres producteurs viticoles du bordelais, connus pour insister particulièrement sur la perpétuation de la tradition.

« Nous avons tablé sur une vision nouvelle du métier, et nous avons vu juste ! » Pour la récolte 1991, Berglund se fit construire des installations viticoles inspirées des méthodes de vinification prônées par le producteur viticole australien Brian Croser, qui a eu un rôle visionnaire dans le renouvellement des métiers du vin.

Le choix de la viticulture biodynamique

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En 2003, Juha Berglund fit l’expérience de l’agriculture biodynamique : aujourd’hui, la totalité de ses terres est exploitée en biodynamie.Photo: Château Carsin

En 2003, Berglund tenta l’expérience de l’agriculture biodynamique sur deux hectares de ses terres, appliquant des principes de culture écologique et biologique. « Même si je ne comprends pas toute la philosophie sur laquelle reposent les méthodes biodynamiques, j’observe que les résultats sont excellents », commente Berglund. « Nous mettons en œuvre des procédés de biodynamie consistant à travailler à certaines heures de la journée et dans un respect précis du calendrier, sans faire appel au moindre pesticide ou herbicide. D’ailleurs, nous nous sommes mis aujourd’hui à 100% à la biodynamie ! »

Berglund a décidé de renoncer à une « production standardisée » : de ce fait, les vins de la propriété sont aujourd’hui d’une « qualité bien supérieure, même s’ils atteignent un niveau de prix plus important ». Par ailleurs, le Finlandais a fait le choix de ne pas présenter les vins du Château Carsin comme issus de l’agriculture biodynamique : « Il est plus important de faire de bons vins que d’annoncer la méthode employée », dit-il.

On compte aujourd’hui environ 500 producteurs de vin biodynamique de par le monde, dont un bon nombre d’exploitations commerciales de tout premier plan.

Le vin a une histoire

Berglund nous explique aussi ce qu’il veut faire passer dans son vin : « En goûtant un vin, on n’en attend pas seulement une certaine saveur, mais qu’il vous raconte son histoire, qu’il vous fasse faire une expérience émotionnelle. C’est pourquoi nous souhaitons que le consommateur associe une certaine image ou un climat particulier à nos vins, de même qu’une couleur et un arôme distinctifs. On parle toujours des vins comme des hommes : on les qualifie de complexes ou de nerveux, on dit que certains d’entre eux ont une consistance grasse, que d’autres sont légers, ou encore francs ou jeunes. En buvant un certain vin, c’est donc toute sa personnalité qu’on découvre. »

Berglund ajoute qu’il a à cœur de se « rapprocher des racines du vin » en s’interrogeant sur le caractère et l’âme propres à chaque cru. Quand nous lui demandons ce qu’il vise pour les vins de sa propriété, le viticulteur finlandais répond sans ambages : « Nous voulons un vin qui ait plus d’attaque, un vin carrément un peu plus « couillu ». »
 

Par Carina Chela, janvier 2012