Jean Sibelius, le plus célèbre des compositeurs finlandais, a aussi signé quelques-uns des chants de Noël les plus appréciés des Finlandais, même si le musicien avait une hantise de la période la plus obscure de l’année. Ceci n’empêchait pourtant pas la famille Sibelius de passer les fêtes de Noël dans une ambiance aussi chaleureuse que musicale (voir le lien vers une playlist ci-dessous).
Je sais par expérience ce qu’est d’avoir un compositeur dans sa famille au moment des fêtes de Noël. Pour moi, cela s’est traduit par des réunions de toute une maisonnée bruyante autour du piano et de la figure dominante du maître de maison, une fois terminées les agapes typiquement finlandaises consistant à terminer les restes du somptueux repas de fête de la veille. Je vous assure que même si tout le monde ne chantait pas toujours absolument juste, les participants à nos réunions familiales avaient l’habitude d’entonner en chœur chants de Noël traditionnels et, cerise sur le gâteau, chants composés maison avec une ferveur à en faire fondre la glace du lac gelé d’à côté !
J’ai connu pendant 20 ans d’inoubliables fêtes de fin d’année au milieu d’une ambiance pleine d’entrain chez mon beau-père le compositeur finlandais Tauno Marttinen et son épouse Ilmi, qui nous recevaient à Hämeenlinna dans leur confortable maison en bois. Il se trouve que c’est la même ville qui a vu naître Jean Sibelius, le plus célèbre compositeur finlandais dont les Finlandais aiment à chanter les chants de Noël le 24 décembre.
Joie et mélancolie
J’imagine que l’ambiance au bord du charmant lac Tuusulanjärvi, là où Sibelius a vécu une grande partie de sa vie avec son épouse Aino et leurs cinq filles, devait ressembler assez à celle de chez mes beaux-parents du fait de la réunion au même endroit de ces trois ingrédients essentiels que sont la musique, un compositeur et une famille, le tout sous le signe de la joie.
Réputé peu religieux, Sibelius avait l’habitude de parler du christianisme uniquement comme de « la foi de (s)es ancêtres » ; cependant, il allait à l’église au moins une fois par an, pour le culte du matin de Noël, tandis qu’il était bien connu que la période festive prise dans son ensemble ne l’enthousiasmait que très moyennement.
« Les semaines les plus obscures de l’année, entre mon anniversaire (le 8 décembre) et Noël, où le soleil est au point le plus bas de sa course, sont toujours pour moi une période difficile », confia-t-il un jour à son secrétaire Santeri Levas. « Mais dès que Noël est passé, tout va mieux et la vie me semble à nouveau belle. »
Les cadeaux de Noël musicaux de Sibelius
Ce spleen d’avant Noël mis à part, Sibelius appréciait aux dires de tous ceux qui l’ont approché de passer les fêtes avec ses proches, occasion d’offrir aux membres de sa famille ou à ses amis une composition en guise de cadeau de Noël.
En 1915, Sibelius réunit cinq pièces choisies parmi les différents chants de Noël qu’il avait composés entre 1897 et 1913 en un Opus 1, dont l’hymne En etsi valtaa loistoa (« Give me no splendour, gold or pomp ») ainsi que On hanget korkeat, nietokset (« High are the snowdrifts »), tous deux comptant aujourd’hui parmi les chants de Noël préférés des Finlandais. Tous les ans à Noël, les enfants Sibelius interprétaient précisément ces deux chants, qui avaient une signification particulière dans le déroulement de la fête à la maison : en effet, pour le premier chant, la maman Aino s’asseyait pour une fois au piano, après quoi Jean venait prendre la place de sa femme au clavier, se lançant dans l’interprétation de On hanget korkeat, nietokset, ce qui donnait aux enfants une sorte de signal que Noël était bel et bien là.
Le fait que Sibelius ait constamment retravaillé ses chants de Noël jusqu’à quelques années avant sa mort en 1957 nous indique l’importance qu’avaient pour lui ces pièces musicales. Il faut noter à ce sujet qu’il avait composé En etsi valtaa loistoa peu après s’être installé dans sa vaste villa d’Ainola, en 1904, et que cette maison, située à Järvenpää à environ 40 kilomètres au nord d’Helsinki fut baptisée en référence au prénom de sa femme.
Quant à On hanget korkeat, nietokset, le morceau fut composé dans la maison où vivait précédemment Sibelius à Kerava, une localité située à quelque dix kilomètres au sud de Järvenpää. Ce chant, dont les paroles sont celles d’un poème de Zacharias Topelius, fut intégré en 1943 au recueil de cantiques de l’Eglise évangélique-luthérienne de Finlande, dans un premier temps dans sa version originale suédoise, puis finalement en finnois.
Une grande animation pour Noël
Les invités se bousculaient à Ainola tous les ans à Noël : les cinq filles de la maison étaient là, bientôt accompagnées de leurs maris et enfants, les beaux-parents des uns et des autres se joignaient aux réjouissances et de nombreux amis avaient l’habitude de passer. La maison, d’habitude calme au point qu’on pouvait y entendre une mouche voler, s’emplissait soudain de musique et des échos des parties de jeux de cartes et autres qui s’y jouaient, le tout sur fond du bruit de la course des enfants à travers les pièces de la propriété. J’imagine aussi les volutes de fumée des fameux cigares tant aimés du maître de maison s’élevant dans l’air et enveloppant les hôtes de Sibelius.
La villa disposait de l’électricité mais pas de l’eau courante, Sibelius s’y étant toujours opposé. Ceci se traduisait certainement pour les femmes de la famille par des nombreux problèmes pratiques pour la préparation des repas de fête, ce à plus forte raison qu’il y avait de nombreuses bouches à nourrir pour l’occasion. A table, on trouvait parmi toutes les bonnes choses servies aux invités des spécialités maison dont Aino avait fait des conserves au cours de l’année écoulée.
Quant aux plus jeunes, leur excitation était à son comble dans les toutes premières minutes de la fête qui avait lieu à Ainola pour Noël. « Les enfants étaient emmenés dans la nursery de la maison, où l’éclairage était volontairement réduit le plus possible, puis ils étaient appelés au salon : en y arrivant, ils découvraient le sapin de Noël tout illuminé », écrit Laura Enckell, l’une des petites-filles de Sibelius, dans un livre de souvenirs qu’elle a consacré à son enfance.
« Mes grands-parents voulaient vraiment que le sapin nous fasse un effet extraordinaire, que nous en soyons tout éblouis. Et puis je me souviens de Sibelius interprétant On hanget korkeat, nietokset au piano. Ce qui était frappant surtout, c’était sa façon de jouer précisément ce morceau-là avec une intensité inhabituelle, pédale du piano enfoncée, un peu comme s’il avait été aux grandes orgues. On aurait dit à cet instant précis qu’il se voyait entouré de tout un orchestre : alors, nous entonnions l’hymne tous en chœur, avant de poursuivre avec le chant En etsi valtaa loistoa dont les paroles disent « Ne me donne nul pouvoir, nulle splendeur ». Et tout cela se faisait dans une tonalité vraiment joyeuse, sans rien d’austère ou d’évocateur d’une dévotion religieuse. »
Par Rebecca Libermann