Sanna Kannisto – l’art et les sciences naturelles

Sanna Kannisto est une artiste finlandaise qui se consacre depuis 1997 à un seul sujet, la forêt tropicale et ses espèces.

© Galerie la Ferronnerie

Sanna Kannisto: Moraceae, Ficus pertusa, 2001, édition de 7
(c-print, 74 x 90 cm)

Un entretien avec la photographe Sanna Kannisto (née en 1974) et Andréa Holzherr, historienne de l’art et spécialiste de la photgraphie. Sanna Kannisto est une artiste finlandaise qui se consacre depuis 1997 à un seul sujet, la forêt tropicale et ses espèces.
 

Chère Sanna, vous travaillez, depuis plusieurs années déjà, dans les forêts tropicales au Brésil, au Pérou, en Guinée Française et au Costa Rica. Pouvez-vous expliquer comment est né votre projet artistique ?

Parallèlement à mes études d’art, j’ai toujours été intéressée par les sciences naturelles. Je suis fascinée de voir comment la science nous permet de comprendre le monde. Je n’ai pas de diplôme en biologie, mais j’aime me considérer comme un biologiste amateur. J’étudie les livres spécialisés, ainsi que les guides d’expéditions scientifiques, pour connaître les divers spécimens et les informations utiles qui les concernent.

Lors de mon premier voyage au Pérou, en 1997, j’ai eu la chance de pouvoir accompagner un botaniste Finlandais. C’est à cette même époque que j’ai préparé mon examen de fin d’études à l’Université des Beaux Arts de Turku. Pour obtenir le diplôme, l’université demande aux étudiants de développer un projet indépendant, faisant l’objet d’un rapport écrit et d’une présentation des travaux réalisés. J’ai mis ce voyage à profit pour mon projet de diplôme. De ce premier voyage, j’ai ramené des images plutôt classiques, des portraits d’animaux et de plantes présentés devant un fond blanc, ainsi que des paysages de la forêt tropicale.

 

Vos premières photos d’animaux et de plantes sont très proches des portraits de studio. Votre approche a, depuis, beaucoup changé. Vous êtes passée d’une photographie assez figée et classique, à une approche plus vivante, plus personnelle. Pouvez-vous décrire cette évolution en quelques mots?

Mon studio photo miniature a existé depuis le début du projet. Il me permettait de réduire et de cadrer l’abondance de la forêt tropicale. Une fois les animaux et les plantes isolés de leur espace naturel, placés dans l’espace neutre de mon petit studio photo et éclairés avec soin, j’arrivais mieux à capter leurs couleurs, leurs formes et leur spécificités. Par contre, j’ai été très vite gênée par l’interprétation trop généraliste de ces "portraits" et j’ai pris une direction plus personnelle.

J’ai, par exemple, commencé à montrer mon installation plus en détail : l’espace de mon studio miniature, ou bien les divers outils qui me servaient à maintenir les espèces en place. Mon intention était de montrer mon rôle de metteur en scène, ainsi que mes conditions de travail, comme dans "Untitled (Selfportrait), 2000", par exemple.

 

Pour pouvoir travailler dans la forêt tropicale, vous devez vous joindre à des expéditions scientifiques. Est-ce compliqué d’intégrer ces cercles souvent très fermés?

|||© Galerie la Ferronnerie

© Galerie la Ferronnerie

Depuis quelques années, j’ai réalisé qu’il existe une forte hiérarchie au sein des expéditions scientifiques. Les chercheurs sont jugés en fonction de leurs publications et de leur position dans le milieu académique, et des ressources attribués à leurs recherches. J’ai été choquée de découvrir la féroce compétition qui régnait entre eux et d’entendre certains dire que la science était un champ de bataille.

Je me suis intégrée dans (à) ce milieu, mais, personnellement, je me sens toujours comme une étrangère, ce qui me semble plutôt positif. Au fil des années, j’ai gagné le respect et l’admiration des chercheurs grâce à mon travail. Je coopère souvent avec les scientifiques ; par exemple, je les suis dans leurs occupations de base, en les accompagnant sur les sites de recherche, en collectionnant des espèces avec eux, ou encore en faisant sécher des plantes. En retour, je leur donne parfois des conseils en photographie.

Il n’y a pas beaucoup de divertissement dans les stations scientifiques, nous menons une existence plutôt ennuyeuse et solitaire, c’est pourquoi on se serre les coudes et on s’entraide. Souvent, la nuit, on s’assoit sous la véranda pour parler. Je passe habituellement mes journées seule dans la jungle, c’est donc parfois sympathique de se joindre aux autres. Mais il y a toujours des chercheurs qui s’isolent et ignorent totalement les autres et leur travail.

 

Dans certaines de vos œuvres, vous imitez le travail et les gestes des chercheurs que vous côtoyez dans les stations scientifiques. Est-ce que cette imitation faisait partie de votre projet original, ou est-ce venu plus tard, à leur contact ?

Je n’ai pas l’impression d’imiter les scientifiques, simplement parce que certains de mes comportements ou gestes leur ressemblent. Je dirais que j’ai la même curiosité pour apprendre comment fonctionnent les choses, et la même envie qu’eux de mettre de l’ordre dans le chaos. J’ai acquis un savoir et une compréhension de la forêt tropicale qui, je l’admets, n’est pas scientifique, au sens propre. J’utilise ce savoir et je laisse mon imagination et mon inspiration m’influencer. D’ailleurs, depuis mon enfance, je me sens comme un observateur/chercheur, surtout en ce qui concerne les perceptions sensorielles.

 

Même si votre attitude envers l’approche scientifique de la nature est humoristique, on ressent immédiatement votre amour et votre intérêt pour les espèces que vous présentez dans vos photographies. J’imagine que ça doit être magique de découvrir ce monde qui nous est totalement inconnu?

La manière scientifique de voir les choses ne représente pas une vérité unique. Dans mon travail, j’approche les choses d’une façon personnelle, avec ma propre sensibilité. J’utilise des approches, des perspectives et des attitudes différentes de celles des chercheurs. La forêt tropicale est un système biologique extrêmement complexe.

Il est aussi difficile, pour moi, de voir comment capter cette complexité et de l’exposer, qu’il l’est parfois pour les scientifiques de voir leurs recherches menées à des fins analytiques. L’ironie et l’humour entrent surtout en jeu quand j’essaie d’étudier mon propre rôle en tant qu’acteur et médiateur.

J’aime beaucoup le mot " magique ". Dans une forêt magique peuvent exister des éléments mystérieux et imprévus. C’est une grande joie de pouvoir envisager la forêt à différents niveaux : sa beauté, son calme, sa diversité extrême. Intellectuellement, je trouve cela très stimulant. L’idéal serait que les spectateurs retrouvent justement ces différentes sensations dans mes oeuvres.

 

Au début de votre projet, votre intérêt semblait se concentrer sur la présentation d’une large variété d’espèces. Plus récemment, vous vous concentrez plus spécifiquement sur une seule, comme dans la vidéo " Poison Dart Frog Males " ou dans la série des photographies sur les chauves souris ?

Dès le départ, j’ai toujours photographié ce qui m’entoure et ce que je peux facilement trouver ou attraper. Les spécimens que vous évoquez ne peuvent être approchés sans une certaine expérience. Je m’explique – je dois savoir ce qu’il faut faire pour que les grenouilles se battent devant le fond blanc de mon studio photo, ou comment on peut attraper une chauve-souris. Ma première photo de chauve-souris date de 1997 ; depuis j’en fais chaque fois que je me trouve en forêt tropicale.

Les chauves-souris sont tellement abondantes dans cet environnement qu’elles sont faciles à étudier. Leur présence est très importante d’un point de vue écologique, car elles fécondent environ 600 espèces différentes dans le nouveau monde et aident à reboiser les parties de la forêt détruites par l’homme. J’ai une réelle fascination pour ces créatures.

 

Beaucoup de gens ont peur des chauves souris, mais apparemment vous ne les craignez pas. Quel est votre objectif avec ce nouveau travail sur les chauves- souris?

Vers 2004, j’ai commencé un nouveau projet sur la photographie du vol. A l’époque, j’ai surtout étudié les colibris. Assez rapidement, mes recherches m’ont dirigée vers les chauves-souris. Si les colibris suggèrent "jour-blanc-positif", les chauves souris font penser à "nuit-noir-négatif". Pourtant les chauves-souris que je photographie ressemblent beaucoup aux colibris. Elles ont la même taille et se nourrissent de la même manière. Mais les mythologies et les contes populaires en ont beaucoup influencé notre perception. Pour moi, elles sont comme des sortes de fées forestières mystérieuses ; de petits mammifères équipés d’un outil d’écholocation incroyablement performant.

 

Dans votre dernieère exposition à la Galerie La Ferronnerie, vous avez montré une installation qui rassemble un ensemble de matériel relatif à votre recherche artistique. Pourquoi avez-vous décidé de montrer aux spectateurs votre processus de travail?

Cette installation est une sorte de " memory board ". J’utilise le même, en acier avec des aimants chez moi, pour planifier mes voyages ou mes expositions. C’est donc une installation qui met en situation un vrai procédé de travail. J’ai beaucoup de photos que je n’agrandirai jamais pour en faire des pièces d’exposition, mais que je considère quand même comme importantes. Personnellement, j’ai toujours trouvé intéressant de voir les laboratoires des scientifiques et les ateliers d’artistes, et j’avais envie de montrer ma propre façon de travailler aux visiteurs.

Parfois, la façon de travailler peut devenir plus intéressante que le résultat final. Je me sens quelquefois troublée par le fait que les photographies deviennent des objets, une fois montées sur aluminium, encadrées et accrochées au mur. J’avais envie d’essayer une présentation un peu plus vivante.

 

Pour quand planifiez-vous votre prochaine expédition en forêt tropicale? Et savez-vous déjà quel sera votre prochain sujet?

Je repartirai une fois la saison des myrtilles et des champignons terminée en Finlande. Dans mon travail récent, j’ai déjà commencé à m’orienter davantage vers la fiction, et je souhaite continuer dans cette direction. Je recherche plus l’aspect narratif et les situations dans lesquelles des procédés naturels sont mêlés à des opérations créées par l’homme. Les oppositions, comme " sauvage – apprivoisé " ou " chaos – raison " m’intéressent particulièrement.

J’aimerais me concentrer de nouveau sur les paysages, et continuer ma série sur les scènes nocturnes, en particulier sur les fleurs qui éclosent la nuit.

Liens :

Sanna Kannisto
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Par Andréa Holzherr, avril 2008, mise à jour avril 2011