Tout article consacré au sisu vous dira pour commencer que ce mot finnois est intraduisible. Ceux qui écrivent à son sujet essaient de lui trouver un équivalent dans leur langue maternelle au moins depuis janvier 1940, où le premier paragraphe d’un article exhaustif paru dans le New York Times avançait à propos du sisu : « Ce mot n’est pas facile à traduire car on ne trouve son équivalent exact dans aucune autre langue. » Quant au titre de l’article, il énonce : « Sisu, un mot qui explique la Finlande. »
Comment donc écrire sur un pays alors que sa description repose sur un mot intraduisible ? C’est là une tâche à la fois incroyablement compliquée et d’une simplicité trompeuse : les journalistes et auteurs ont recours à l’explication du mot, non sans profiter de l’occasion pour révéler les rouages internes du comportement individuel finlandais et de la société finlandaise, autrement dit ce qu’on pourrait aller jusqu’à appeler l’âme du pays. C’est précisément ce qui s’est produit avec le livre de Joanna Nylund Sisu: The Finnish Art of Courage (paru aux éditions Gaia au Royaume-Uni et chez Running Press aux Etats-Unis), où l’auteur aborde ce sujet (note de la rédaction : Nylund a également signé des articles et fait paraître des photos sur notre site internet).
Etymologiquement, « sisu » dérive d’un vocable finnois qui comporte la notion d’« intérieur » ou d’« intériorité » : c’est d’ailleurs pourquoi le terme est parfois traduit par « cran » ou « force intérieure ». Il faut noter à ce sujet que la Finlande est un pays bilingue et que Nylund a grandi à Raseborg, municipalité de Finlande du Sud où l’on parle aussi bien le finnois que le suédois, à l’instar de Nylund elle-même ; autre précision intéressante, le peuple autochtone sami dont le territoire correspond au Grand Nord finlandais s’exprime en différentes langues bénéficiant elles aussi d’une reconnaissance officielle. Indépendamment de la langue utilisée par les uns et les autres, tous les habitants de la Finlande peuvent cependant se réclamer du sisu. A cela s’ajoute le fait que de nombreuses personnes de tous pays du monde témoignent elles aussi de l’intérêt pour cette notion finlandaise. Au bout de quelques pages à peine de son livre, Nylund encourage le lecteur en ces termes : « Vous avez du sisu », écrivant à la suite : « Il est à la portée de chacun. Vous l’avez au fond de vous. »
Un état d’esprit qui tend à l’action
Nylund a écrit son manuscrit en anglais. A l’heure où cet article était publié, son ouvrage était déjà disponible ou à paraître en néerlandais, français, hongrois, coréen, portugais, russe et vietnamien, sans oublier le finnois. Les sept chapitres du livre sont l’occasion pour Nylund d’examiner le sisu et ses manifestations et illustrations pratiques sous plusieurs angles différents.
La préface nous informe que d’un point de vue strictement linguistique, le sisu en tant que notion remonte à 500 ans, voire plus. Le mot peut aussi bien désigner « la détermination inflexible, la résistance à l’épreuve, le courage, l’intrépidité, la ferme volonté, la ténacité et l’énergie endurante. » « C’est un état d’esprit qui tend à l’action. » Par ailleurs, on ne se vante pas d’avoir du sisu : on se contente de « laisser parler ses actes. »
A partir de là, le discours du livre se ramifie et la définition du sisu s’étoffe toujours plus ou s’enrichit d’explications complémentaires, l’auteur nous démontrant comment le sisu trouve son application pratique chez l’individu pour lui servir en quelque sorte de philosophie de vie tous azimuts. Le sisu entre en jeu à partir du moment où l’on est confronté à une forme ou une autre de défi, situation illustrée par l’exemple d’une guerre ayant lieu dans des conditions de grand froid hivernal : c’est là précisément l’épreuve qu’était en train de traverser la Finlande au moment où le New York Times a publié son article. Le sisu peut cependant aider chacun de nous à faire face à des épreuves plus quotidiennes, tout en contribuant à notre bien-être physique et mental et en nous aidant à communiquer avec notre partenaire comme avec les membres de notre famille et nos collègues. On peut aussi élever ses enfants pour qu’ils aient du sisu ou s’appuyer sur ce trait de caractère pour mener une vie active et saine, s’en servir comme levier pour atteindre ses objectifs et même, éventuellement, trouver le bonheur grâce à lui.
Tout en éclairant le lecteur sur le sisu, Nylund nous propose au final un guide culturel de la Finlande aussi soigneusement composé qu’attrayant. Le mode de vie et de fonctionnement mental finlandais contribue pour beaucoup à la notion de sisu, quand il ne se nourrit pas de celui-ci. Si vous souhaitez imiter les Finlandais dans l’amour qu’ils portent à la nature, étudier le célèbre système éducatif finlandais, vous intéresser à la capacité qu’ont les Finlandais de tirer le meilleur parti possible de conditions climatiques extrêmes (tout en profitant vous aussi des bons côtés du climat local) ou vous inspirer d’eux pour gérer toute crise personnelle grave ou non que vous pourriez être amené à traverser, ou même tout simplement si vous êtes curieux d’en savoir plus sur les Finlandais, sachez que le sisu est de la partie en toutes circonstances.
Le livre de Nylund comprend des conseils pratiques régulièrement réitérés permettant à chacun d’intégrer à sa vie une attitude empreinte de sisu : « Quelques bons conseils incontournables pour vous aider à refaire le plein d’énergie : 1. Déconnectez-vous vraiment. 2. Mettez-vous à l’unisson avec le silence. 3. Ménagez-vous des plages horaires où vous serez seul. » Voici encore une série de formules de la même veine : « Quelques bons conseils incontournables pour renouer avec la nature : 1. Abordez la nature avec humilité. 2. Mobilisez votre savoir-faire. 3. Pensez à préparer votre retour à la nature. » Nylund cite même un certain nombre de recettes à base d’ingrédients cueillis en pleine nature dont le propre est de capturer l’essence subtile du sisu, entre la tarte aux myrtilles et un cocktail à la vodka faisant intervenir des mûres, du basilic et du citron.
A la rencontre du sisu
Nylund n’a-t-elle pas eu peur d’élargir excessivement la définition du sisu ? Si la moindre crainte a pu l’effleurer à ce sujet, elle estime que l’hésitation n’avait pas lieu d’être. « Le sisu englobe tous les aspects de la vie », dit-elle. « C’est cela que j’ai découvert au cours de mon travail de réflexion et d’écriture. » Elle est parvenue à la conclusion que « le sisu sous-tend véritablement beaucoup de choses : de ce point de vue, il n’y a rien d’exagéré à pointer cette notion dans de nombreux aspects différents de la vie. »
Si vous vous intéressez à la Finlande, apprêtez-vous à tomber sur le sisu. « L’idée omniprésente (au fil du livre), c’est que ce sont nos actes qui font la démonstration de ce qu’est le sisu : c’est pourquoi celui qui souhaite saisir en quoi consiste le sisu doit dialoguer avec des Finlandais pour découvrir à travers l’échange le mode de vie qui est le nôtre. »
Nylund a aussi fait figurer dans Sisu: The Finnish Art of Courage des interviews de Finlandais en qui s’incarne l’idée du sisu, par exemple l’explorateur de l’Antarctique Patrick Degerman ou Emilia Lahti, une chercheuse ayant étudié le sisu et qui s’est fait connaître par ailleurs par les combats qu’elle mène en faveur de différentes causes sociales. L’auteur ne néglige pas pour autant de citer dans son ouvrage d’autres exemples de sisu parmi lesquels nous avons retenu le lauréat du prix Nobel de la paix Martti Ahtisaari, connu pour s’être activement impliqué en faveur de la résolution de plusieurs conflits internationaux, ainsi que le coureur de fond Paavo Nurmi, qui battit de nombreux records et remporta des médailles olympiques dans les années 1920.
Tout auteur d’un livre se voulant somme d’informations compacte sur la culture finlandaise mais aussi porteur d’un regard d’ensemble sur celle-ci est voué à faire figure d’ambassadeur officieux de son pays. Cette idée ne dérange pas Nylund : elle a adopté ce rôle, nous dit-elle, « involontairement, mais non pas à contrecœur. »
Par Peter Marten, mars 2018