Anna Ruohonen, simplement libre

Anna Ruohonen est comme son fameux gilet de la collection black classic – simple, élégant et indémodable.

C’est dans son atelier de la rue Daguerre, au milieu des modèles, bobines et portants, un jupon en cours de finition sur le plan de travail, que le rendez-vous a lieu. Anna Ruohonen porte son fameux gilet de la collection  » black classic « , simple, élégant et indémodable.

Détail amusant, Johanna Gullichsen, créatrice finlandaise amie et collaboratrice d’Anna, portait le même lors de notre entrevue. Portrait d’une créatrice de mode libre, qui se laisse guider par les circonstances, les rencontres et vit comme et où sa vie l’emmène.

Famille / enfance

Originaire de Helsinki, Anna Ruohonen a toujours considéré être le mouton noir de sa famille, composée quasi-exclusivement d’universitaires et de scientifiques à l’exception de son père, journaliste radio à YLE (station nationale).

Des académiques : un grand-père botaniste et recteur de l’université de Helsinki, une grand-mère et une mère chimistes, une mine de chercheurs dans laquelle elle dénote, avec ses velléités d’artiste.

Anna Ruohonen dans son atelier.  ©Zabou Carrière

Anna Ruohonen dans son atelier. ©Zabou Carrière

L’amour et la tradition finlandaise du travail manuel, enseignés par sa grand-mère issue de la génération  » on fait tout à la main « , auront un impact fort sur ses choix ultérieurs. Avec elle, Anna apprend le tricot, le crochet, le dessin, l’art des tissus anciens, de la broderie et évidemment la tradition du travail manuel et de la qualité.

Jeune, Anna adorait déjà dessiner. Convaincue qu’elle embrasserait une activité artistique, elle commence après le bac, et sans trop y réfléchir, une activité d’artiste-peintre en prenant un atelier en sous-sol et suit des cours de peinture. Mais isolée dans son atelier, seule avec sa peinture, loin du rapport direct avec les gens elle s’ennuie. Sa personnalité l’attire vers l’autre, le contact, l’échange.

Elle part alors étudier dans diverses écoles de mode européennes (notamment en échange Erasmus) : en Hollande à la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam et à l’université des Arts d’Utrecht, en France à l’Institut Français de la mode de Paris et en Finlande à l’Université des Arts et du Design à Helsinki où elle obtient son diplôme en 1994.

La même année, elle part s’installer à Paris où elle travaillera pour Olivier Deforges, José Levy et Martin Margiela avant de lancer sa propre collection en 1999.

Un autre regard sur la mode

Son installation comme créatrice de mode indépendante à Paris lui a été facile. En contraste avec la Finlande, elle y trouve une infrastructure de la confection vaste et adaptée à toutes les échelles : du grand-public au luxe, tout est possible. Aujourd’hui encore, les créations d’Anna Ruohonen sont fabriquées localement, dans de petits ateliers français. Récemment à la recherche d’une fabrique de maille au travail soigné, elle a trouvé chaussure à son pied dans une usine familiale finlandaise.

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Best top © Zabou Carrière

Ses premières collections étaient exclusivement destinées à l’homme, elle les déploie plusieurs années consécutives et connaît un succès grandissant. Les modèles, eux, féminins sont nés des nombreuses demandes de ses clientes – notamment japonaises dont elle était très appréciée – lui commandant toujours davantage de modèles hommes de tailles XS, voire XXS… Elle crée alors  » Feminin aspects « , versant féminin de sa collection homme, et rencontre alors une nouvelle clientèle toujours plus nombreuse. Aujourd’hui elle avoue d’ailleurs être plus à l’aise dans la création féminine, plus riche et variée, qui lui offre de multiples possibilités. Elle crée des collections de jupes, robes, manteaux, hauts,… aux coupes subtiles et simples, fronces et trapèzes, et aux couleurs parfois basiques, parfois plus vives ou chatoyantes. Mais elle garde une réelle affection de la mode homme qu’elle tient à poursuivre, jugeant qu’il y reste encore tant à faire…

Accompagnée depuis mars 2008 d’un tailleur, Mehmet Kabak ( » une perle-rare  » selon ses propres termes), elle découvre un nouvel aspect de la confection. Issu de la vieille école où qualité, finition, coupe parfaite et  » portabilité  » sont les éléments essentiels d’un habit, il peaufine les créations d’Anna pour parvenir au produit parfait.

Dans un milieu qui répond à des règles établies, Anna Ruohonen développe une autre démarche originale. Après avoir navigué dans cet univers glamour, aux mannequins grands et filiformes, à la façon si particulière de se déhancher (le catwalk) et aux créations parfois surréalistes et importables, Anna se démarque. Selon elle, la mode est trop éloignée de la réalité, dans sa bulle, loin du consommateur.

Elle leur préfère M. et Mme Tout-le-monde et conçoit à leur attention des vêtements qu’ils porteront. Pour ses défilés, comme pour les photos de ses collections, elle demande à des amis et connaissances, de tous âges, de faire les modèles. Et lorsqu’elle utilise un mannequin, c’est celui dont elle se sert pour créer ses nouvelles pièces, fait de bois et de tissu.

Le contact direct avec sa clientèle lui est précieux. Elle organise depuis quelques saisons au moment des défilés professionnels, un défilé privé pour ses clients et amis (pas dans le gallerie, ca setait une showroom professionnel) où ses créations sont portées par des amis. C’est pour elle à la fois un test-conso (ils peuvent passer commande des modèles qui leur plaisent en avant-première), mais aussi le lieu d’une réelle franchise et d’éventuelles remarques constructives.

Anna connaît également quelques collaborations culturelles. Après avoir prêté ses collections pour le tournage d’un film, elle fait grâce à un ami la connaissance de l’auteur et metteur en scène Ludovic Kerfendal à la recherche urgente des costumes pour sa nouvelle création, spectacle muet entre théâtre, danse et performance. Elle lui prête des modèles existants, et le résultat parfait, de l’avis des deux créateurs, les décide alors à poursuivre la collaboration. Anna Ruohonen a ainsi conçu des costumes sur mesure pour les pièces de metteur en scène Ludovic Kerfendal.

Style & qualité

Le style Anna Ruohonen reconnaissable, aux coupes simples et soignées, est à la fois élégant et sobre. Les matières sont nobles, laine, lin, coton, soie et confèrent à ses créations la qualité et la longévité des produits. Elle est selon ses propres termes une  » folle de la qualité « .

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Natural evening dress © Zabou Carrière

Elle compare la matière, un tissu ou un fil, au vin : une fois qu’on a goûté à la qualité, difficile de revenir en arrière. Son expérience, parfois malheureuse (avec le polyester notamment), l’ont définitivement dissuadée des économies de bas étage. Sa mission est, selon ses propres termes, de réapprendre au gens leur leçon de mathématiques : il revient finalement très cher d’acheter une qualité médiocre qui ne dure que quelques mois. Et elle semble avoir eu raison, sa clientèle lui est très fidèle et son meilleur argument commercial : une cliente lui a un jour dit qu’en décrivant ses créations à une amie, elle les avait qualifié de  » design  » : pas à la mode, et jamais démodées. Pour Anna, la plus belle publicité qu’on n’ait pu lui faire !

C’est d’ailleurs dans cette quête de la qualité et du design qu’elle rejoint en philosophie et dans la collaboration, une autre finlandaise parisienne, Johanna Gullichsen, qui crée tissus et objets. Ensemble elles ont créé AR’JG, leur marque commune, où Anna crée des modèles sur la base des tissus conçus par Johanna (voir pour cela l’article sur Johanna Gullichsen).

Bien que n’ayant jamais planifié de vivre à Paris, Anna Ruohonen y habite depuis près de 15 ans. Impossible d’ailleurs pour elle de comparer deux pays aussi différents que France et Finlande. Paris lui est une permanente stimulation esthétique, une ville sous tension, pressée, toujours en mouvement, parfois difficile à vivre, mais qui la pousse en avant.

Elle se nourrit de cette énergie, de ce stress ambiant. Elle est devenue parisienne au point de ne pas se voir retourner vivre en Finlande par peur de l’ennui, du rythme trop calme, trop figé. Seuls ses amis et sa famille lui manquent, mais elle s’en accommode. Peu lui importe d’ailleurs de savoir où elle vieillira, sa vie l’y mènera et elle n’y réfléchit pas aujourd’hui, Anna Ruohonen vit dans le présent…


63 rue Daguerre 75014 Paris
tél: +33-(0)9-52398576
info (at) annaruohonen.com

A paris, vous trouverez la maille chez Johanna Gullichsen et une sélection de ses créations chez Finnova. Deux boutiques proposent ses collections à Helsinki.

74, Rue du Cherche-Midi 75006 Paris
tel/fax (01) 4222 1267

Finnova

35 quai de la Tournelle 75004 Paris
tél. 01 43 25 75 70

Par Sonia Musnier, février 2009