Quatre heures et demie de matin : Janne Koskimäki a passé, seul, la nuit dans son labo de l’Université d’Oulu. Ça fait deux semaines qu’il n’en sort pour ainsi dire pas. Soudainement, une chanson à la radio attire son attention : c’est Vesa-Matti Loiri, une célébrité du show biz finlandais, qui chante parodiquement un air de country américain. Les paroles se résument à une cascade de caquetants rires aussi désopilants que contagieux. Ainsi distrait de ses occupations, Koskimäki se rend compte qu’il est bien tard.
« La situation frisait l’absurde et je me suis vraiment demandé si notre activité faisait sens, » déclare Koskimäki, qui souligne tout le long et dur travail passé à une recherche afin terminée
Les surprises tapies dans les bourgeons de pin
Les perspectives de passionnantes innovations médicales pourraient bien résider dans les bourgeons de pins sylvestres, une variété de conifères dont regorge la Finlande. Anna Maria Pirttilä et Janne Koskimäki de l’Université d’Oulu, située à 600 kilomètres au nord d’Helsinki, qui étudient depuis une dizaine d’années les bactéries des bourgeons de pin, viennent de publier un article appelé à faire date.
Tout a commencé avec une étude doctorale où la microbiologiste des plantes Anna Maria Pirttilä examinait comment les pins sylvestres pouvaient être clonés à partir de bourgeons. « Mon étude a par ailleurs révélé, dit-elle, que les bactéries et les levures présentes dans les bourgeons de pin produisent apparemment certains composés qui profitent aux plantes et j’ai bien sûr voulu en savoir plus sur ces composés. »
Pirttilä fit entrer dans son équipe Janne Koskimäki qui venait de terminer ses études supérieures, et c’est ainsi que les deux scientifiques jetèrent leur dévolu sur les bourgeons de pin pendant les huit années suivantes. Et comme c’est souvent le cas dans ce genre d’études, leur travail changea d’orientation à la suite de découvertes inattendues.
Les travaux de Koskimäki et Pirttilä ont révélé comment se comportaient les bactéries des plantes. Pour ce qui est du corps humain, nous sommes habitués à l’idée que les bactéries lactiques, par exemple, profitent à nos systèmes digestifs. Mais on en sait beaucoup moins sur ce que les bactéries vivant dans les plantes y font concrètement.
« Nous avons encore beaucoup à apprendre sur les microbes trouvés dans les plantes » et, ajoute Koskimäki, « le fait même que des microbes résident dans les plantes constitue déjà, en soi, une idée nouvelle et peu connue ».
Pour Pirttilä, « les microbes rendent les gens hystériques, mais ils abondent en masse autour de nous, et seule une infime partie d’entre eux provoquent des maladies. »
L’harmonie entre cellules hôtes et bactéries
Pendant ses loisirs, Pirttilä aime à se promener en forêt. C’est sa manière à elle de se ressourcer, mais l’observation de la nature lui fait aussi entrevoir de nouvelles perspectives de recherche. Koskimäki aime lui aussi se changer les idées en faisant du ski ou en s’évadant dans une cabane au fond des bois.
« S’il est une chose qui m’a toujours fasciné dans la nature », déclare Pirttilä, « c’est comment tout y est lié et la manière dont les espèces vivent en interdépendance, en symbiose ». De tels liens sont devenus une évidence dans les bourgeons de pin, où cellules hôtes et bactéries interagissent de manière mutuellement bénéfique.
Les cellules humaines et les cellules végétales se défendent similairement contre les bactéries nocives en sécrétant des radicaux d’oxygène dans les régions enflammées. Ce processus mène souvent à une réaction excessive, quand l’organisme ou le corps veulent empêcher la bactérie de pénétrer davantage dans le tissu.
Mais les radicaux d’oxygène se trouvent être un mécanisme de défense grossier qui endommage aussi les cellules hôtes de l’organisme. Les travaux de Pirttilä et de Koskimäki ont néanmoins révélé que les bactéries sont capables de se défendre contre les radicaux d’oxygène, même les plus toxiques, en générant intérieurement des acides gras à longue chaine appelés polyhydroxybutyrates. Lorsqu’une inflammation survient, la bactérie est capable de briser ces chaînes d’acides gras en petites sections pouvant être mobilisées pour combattre les radicaux d’oxygène.
Leur projet de recherche bénéficie d’un financement de l’Académie de Finlande, laquelle est subordonnée au Ministre de l’Éducation et de la Culture. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans le numéro de mars 2016 de la revue scientifique Nature Chemical Biology.
Des années de recherche médicale en perspective
Les dommages provoqués par les radicaux d’oxygène se cachent derrière ces graves états médicaux que sont, par exemple, les maladies d’Alzheimer et la dégénérescence maculaire, une maladie de l’œil. Mais les bactéries découvertes dans les bourgeons de pin sont capables de générer des composés à même de combattre efficacement les radicaux d’oxygène toxique à l’origine de ces problèmes. Cette découverte pourrait déboucher sur le développement de nouveaux médicaments.
Pirttilä et Koskimäki ont l’intention de concevoir des innovations médicales pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge et affectant le fond de l’œil, via une coopération impliquant l’Université d’Oulu et celle de la Finlande de l’Est. L’Agence finlandaise de financement pour l’innovation (TEKES) a déjà dégagé un montant de 360 000 euros pour le projet.
La dégénérescence maculaire se trouve être la plus fréquente maladie de la vue dans les pays développés et ces problèmes vont croître au rythme du vieillissement de la population. Il faudra attendre plusieurs années, voire une décennie, avant qu’un nouveau médicament soit mis sur le marché. Mais nos scientifiques restent imperturbables. Comme le dit Pirttilä, « pour les chercheurs, s’adonner à une nouvelle science est une passion comparable à celle qui anime l’artiste créant une nouvelle œuvre d’art. C’est comme si l’on effectuait un passionnant voyage d’exploration. »
Consultez la vidéo de l’Université d’Oulu sur l’arctique attitude dans les sciences.
Par Susanna Ekfors, janvier 2017