Elu à la présidence de la République finlandaise à la suite d’Urho Kekkonen, Mauno Koivisto eut une action visant à mettre à l’honneur le rôle du Parlement ; vers la fin de sa présidence, il fut par ailleurs amené à rechercher la place qui allait être celle de la Finlande au sein de l’Europe nouvelle.
L’ancien président de la République finlandaise Mauno Henrik Koivisto est décédé à Helsinki vendredi 12 mai 2017 à l’âge de 93 ans ; il était né le 25 novembre 1923 à Turku.
Titulaire d’un doctorat en sciences humaines, Mauno Koivisto fut élu à la présidence de la République en 1982 avant d’être réélu en 1988 : à chaque fois, il dut son élection à un vaste éventail de votants par-delà les clivages habituels entre partis politiques.
Unanimement surnommé « Manu », Koivisto était aux yeux des Finlandais un homme intègre, posé et doté d’une belle prestance ; avec son image de voisin de palier idéal, il avait aussi la réputation de s’exprimer en diluant son message dans un discours quelque peu répétitif, souvent prononcé d’une voix traînante. Ce portrait était d’ailleurs du goût de l’intéressé, qui mettait un certain soin à entretenir son image publique pour qu’elle correspondît à sa réputation.
Dans les milieux politiques, c’était toutefois un autre Koivisto que l’on connaissait : un fin stratège qui ne perdait guère son temps en combats de second ordre, tout animé qu’il était d’un « projet supérieur » : ce projet, il le mit à exécution tant au niveau de toute sa carrière que comme homme d’Etat.
Koivisto ne manquait pas de faire preuve de poigne dans sa vie publique, bien conscient qu’il était que les personnalités dont le trait marquant est une trop grande gentillesse n’ont pas leur place sur les plus hautes marches du pouvoir.
D’abord ouvrier, puis docteur
Koivisto, neuvième président de la Finlande, n’en était pas moins le premier dirigeant du pays qui fût issu de la gauche, à savoir du Parti social-démocrate, de même qu’il fut le premier hôte du palais présidentiel à avoir été ouvrier dans sa jeunesse.
Koivisto appartenait également à la génération qui avait connu la guerre : jeune homme, il avait combattu au front lors de la Guerre de Continuation contre l’URSS. La page de la Seconde Guerre mondiale tournée, il travailla au port de Turku en y abattant un dur labeur physique, non sans poursuivre ses études en parallèle, parvenant finalement à décrocher un doctorat en sociologie alors qu’avant guerre il n’avait effectué que sa scolarité obligatoire : il n’avait alors fréquenté que les bancs de l’école dite primaire.
Toute sa vie, Koivisto resta fidèle aux vertus qui avaient marqué le foyer de son enfance, où l’attachement aux valeurs ouvrières allait de pair avec un état d’esprit chrétien et la pratique religieuse. C’est dans le droit fil de son éducation qu’il conserva par la suite une façon d’être modeste, évitant toute démonstration ostentatoire tant dans sa vie personnelle que dans le cadre de ses fonctions officielles.
Tout en se sentant strictement finlandais, Koivisto avait été dès sa jeunesse un fervent partisan de l’internationalisme, si bien que l’amitié entre les peuples n’était pas à ses yeux une simple formule relevant de la politique politicienne. Quand à l’heure d’entamer son premier mandat présidentiel Koivisto déclara vouloir « construire un monde pacifié », cette promesse lui fut dictée directement par son cœur.
Koivisto ne pensait pas faire de la politique à temps plein
Koivisto se fit connaître de l’ensemble des Finlandais lorsqu’il fut nommé ministre des Finances au printemps 1966 ; il fut choisi pour ce ministère alors qu’il occupait les fonctions de directeur de la Banque d’Epargne Populaire d’Helsinki.
Koivisto participait volontiers à des discussions et autres colloques universitaires sur des thèmes de politique économique tout en militant au sein du Parti social-démocrate de son pays ; il n’avait cependant aucun désir de se faire homme politique à temps plein.
Koivisto venait d’être nommé gouverneur de la Banque de Finlande en 1967 quand le président Urho Kekkonen réussit à le convaincre de devenir Premier ministre.
Après s’être déroulée dans de bonnes conditions dans un premier temps, la coopération entre Kekkonen et Koivisto se solda par un échec au printemps 1970. Le président et Koivisto avaient des avis divergents sur l’attitude qu’était supposée adopter la Finlande envers l’Union économique nordique Nordek : Koivisto aurait souhaité que la Finlande rejoigne celle-ci alors que Kekkonen se montrait dubitatif quant à ce projet. C’est ainsi que Koivisto réintégra ses fonctions au sein de la Banque de Finlande, où il se maintint neuf longues années. Dans l’intervalle, le président et le gouverneur de la banque centrale eurent l’obligation de s’entendre, ce qui ne leur fut toutefois guère facile.
C’est au printemps 1979 que Mauno Koivisto revint à un exercice quotidien de la politique, reprenant les fonctions de Premier ministre pour les exercer jusqu’à l’automne 1981 : c’est alors qu’Urho Kekkonen tomba malade après 25 années à la tête de la Finlande et que Koivisto fut amené à assurer l’intérim du président en attendant la tenue d’élections présidentielles anticipées.
Le président Koivisto arrima la Finlande plus fermement à l’Europe
Mauno Koivisto avait 58 ans à l’heure de prendre ses fonctions de président de la République. Il disposait alors d’une expérience diversifiée de la politique intérieure finlandaise, et surtout de la politique économique.
En revanche, Koivisto n’avait pas une aussi bonne maîtrise de la direction de la politique étrangère du pays : c’est pourquoi il se montra particulièrement prudent dans ce domaine au cours de son premier mandat présidentiel.
En politique étrangère, le président Koivisto poursuivit la ligne définie par ses prédécesseurs les présidents Paasikivi et Kekkonen, ce notamment dans les relations avec l’URSS et l’Europe de l’Est. Le Traité d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle qui liait la Finlande et la Russie soviétique fut reconduit pour vingt ans, tandis que Koivisto s’employa sur le plan de la politique intérieure finlandaise à renforcer le parlementarisme et le rôle du Parlement et du gouvernement au détriment de l’influence institutionnelle du président de la République.
Le second mandat de Koivisto, de 1988 à 1994, vit la place de la Finlande évoluer sur la carte du monde par suite des bouleversements qui se produisirent au cours de cette période tant en Europe de l’Est qu’en Europe occidentale.
L’organisation militaire qui avait été concentrée dans les pays de l’Est s’effondra tandis qu’on assista à une accentuation de la coopération entre pays d’Europe de l’Ouest. De même les relations entre les grandes puissances furent-elles modifiées du fait de la fin de la guerre froide.
Dès 1983, Koivisto avait commencé à entretenir une correspondance secrète avec Mikhaïl Gorbatchev et George Bush, puis au printemps 1990 les dirigeants des deux grandes puissances mondiales décidèrent de se rencontrer précisément à Helsinki, ce qui représenta une reconnaissance marquée pour le rôle joué pendant toutes ces années par Koivisto.
Les relations de la Finlande avec l’Union soviétique et les Etats-Unis avaient été préservées même pendant et au-delà des derniers développements de la guerre froide, si bien que Koivisto fut en mesure de prodiguer ses conseils à Gorbatchev quant à la nécessaire rénovation de l’URSS.
C’est sous la conduite de Koivisto que la Finlande résolut de poser sa candidature auprès de l’Union européenne au cours de l’hiver 1992. Il s’agissait là d’une décision considérable, voire de l’une des actions les plus importantes ayant marqué l’histoire de la Finlande indépendante. Aux termes de la Constitution de l’époque, seul le président de la République était habilité à prendre l’initiative de formuler une demande pour une telle adhésion.
Les négociations pour l’entrée de la Finlande dans l’Union furent menées à leur terme le 1er mars 1994, quelques heures seulement après que Koivisto eut transmis ses pouvoirs présidentiels à son successeur Martti Ahtisaari.
« Tout ira bien »
Koivisto garda l’habitude de travailler jusqu’à ces dernières années dans un petit bureau dont il avait la disposition à Helsinki, écrivant plusieurs ouvrages non sans participer avec parcimonie au débat politique. Les Finlandais reconnaissaient régulièrement la silhouette familière de l’ancien président tantôt dans les rues d’Helsinki, tantôt dans un tramway. Conformément à sa volonté de rester actif, il continuait à se déplacer quotidiennement en ville, même si ses forces commençaient à lui faire défaut depuis quelque temps.
C’est au quotidien Helsingin Sanomat que Koivisto accorda ce qui allait rester comme sa dernière interview, en janvier 2013. Il lui fut demandé à cette occasion de préciser l’attitude que, selon lui, il valait mieux adopter face à la vie. Voici la réponse que fit Koivisto :
« En règle générale, il est sage de tabler dans la vie sur le fait que tout ira bien demain. Et c’est un type d’attitude qu’il vaut mieux adopter y compris si vous n’y croyez même pas. Car il arrive souvent que des perspectives menaçantes deviennent peu à peu réalité précisément parce qu’on s’était préparé à ce qu’elles le deviennent. »
Par Unto Hämäläinen, mai 2017
L’auteur est un journaliste spécialisé en histoire politique de la Finlande.
Cet article est paru initialement en finnois le 13 mai 2017 dans le quotidien Helsingin Sanomat.