Bertold Brecht avait déclaré un jour que les Finlandais se taisent en deux langues. C’est possible – mais ce qui est certain, c’est qu’ils écrivent en trois langues – finnois, suédois et sami – et que le nombre total de titres publiés par les éditeurs est colossal. Entre 13 000 et 14 000 livres paraissent annuellement en Finlande, dont environ 4 500 nouveaux titres. Il n’y a qu’en Islande que l’on publie plus de livres par rapport au nombre d’habitants.
Les Finlandais sont aussi des lecteurs assidus, grâce, en grande partie, à un réseau de bibliothèques gratuites très développé. Le libre accès au monde de la connaissance est un des principes fondateurs de l’égalité des chances dans la politique culturelle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une moyenne annuelle de 19 prêts par habitant. Pour les auteurs aussi, les bibliothèques jouent un grand rôle, car pour beaucoup d’entre eux les redevances au titre du droit de prêt constituent une source de revenus essentielle.
La lecture commence tôt à la maison et les statistiques de l’INSEE finlandais révèlent qu’environ 70% des parents lisent des livres à haute voix à leurs enfants. Les récentes études PISA donnent d’excellentes notes en lecture aux écoliers finlandais. Les personnages favoris des petits Finlandais sont les classiques de Disney, les Moumines de Tove Jansson, publiés dans presque tous les pays du monde, et Risto Räppääjä (Ricky le Rappeur), dont les aventures portées à l’écran jouissent d’une popularité extraordinaire. Encore un chiffre qui en dit long : un Finlandais sur trois lit une œuvre de littérature tous les mois, et ce chiffre est resté stable depuis 2000.
Le livre électronique, un marché en pleine croissance en Finlande : éditeurs comme libraires se sont investis sur ce créneau, sur lequel sont également présents des opérateurs téléphoniques comme le groupe Elisa (la photo ci-dessus a été prise dans une boutique Elisa).© Elisa
Bien que la bataille pour le temps libre soit devenue plus dure – la lecture est une activité chronovore – et malgré la crise, les ventes d’œuvres littéraires n’ont pratiquement pas baissé durant les années 2000. En 2008 encore, la Finlande est un pays de lecteurs – 16% achètent plus de dix livres par an – et ce n’est qu’en 2010 que les statistiques montrent pour la première fois une nette baisse, de plus de 10%, dans les chiffres de vente de la littérature. Le livre, publié traditionnellement au format relié avec couverture cartonnée, a toutefois conservé sa place comme cadeau apprécié, en dépit de l’expansion du marché du livre de poche, phénomène très récent en Finlande, et du fait que des nouveautés soient publiées au format de poche parfois dès l’année de leur parution en édition reliée.
D’un autre côté, les cercles de lecture, les médias sociaux et les blogs littéraires très populaires ont fait croître le nombre de ceux qui attachent de la valeur au livre et qui recommandent tel ou tel titre. Pour personnelle qu’elle soit, on veut partager l’expérience de la lecture. C’est par cet intermédiaire que la littérature est devenue un lien de complicité unissant un vaste public.
À l’heure du livre électronique et de l’impression à la demande, le monde de l’édition évolue et le rôle de l’éditeur généraliste avec lui. Ces dernières années ont vu la création en Finlande de nombreuses petites maisons d’édition qui se spécialisent dans la littérature et les œuvres non fictionnelles finlandaises, et publient parfois aussi des ouvrages en traduction. De ce fait, et conformément à la tendance au niveau international, la Finlande a vu naître les premières agences littéraires spécialisées dans la vente des droits de traduction des auteurs finlandais à l’étranger. Traditionnellement, c’étaient les éditeurs qui se chargeaient de la gestion des droits.
Des traductions du roman Purge de Sofi Oksanen, récompensé par plusieurs prix littéraires, sont parues ou sont en cours dans près de 40 pays différents. De gauche à droite : Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Hongrie, Italie et Islande.
Il n’est donc pas étonnant que la vente des droits de traduction d’œuvres littéraires finlandaises soit en progression : à l’heure actuelle, chaque année plus de 200 titres sont publiés à l’étranger dans près de 40 langues. En tête des pays viennent l’Allemagne, puis la Suède et l’Estonie, mais de nombreuses œuvres sont aussi traduites par exemple en japonais. Le nombre des auteurs de qualité a augmenté, la formation des traducteurs a été renforcée et de gros efforts ont été faits en matière de marketing. Résultat : le FILI, l’organisme chargé de la promotion et de l’exportation de la littérature finlandaise, prépare une année à thème sur la Finlande pour le salon du livre de Francfort en 2014.
Cette édition de Finfo est consacrée avant tout à la littérature écrite en Finlande à la fin de la première décennie du XXIe siècle. Que publie-t-on ? Qui écrit ? Une nouvelle génération d’auteurs nés dans les années 1970 et 1980, qui ont grandi à une époque où les contacts et les échanges avec l’étranger sont devenus une réalité de chaque instant, commence à asseoir sa réputation. Nombre d’entre eux écrivent des œuvres de prose ou de poésie, qui font fi des limites de genre, pour un public d’adultes mais aussi d’enfants. Des œuvres écrites par des auteurs d’origine non finlandaise ont également commencé à paraître. Malgré sa précarité, le métier d’écrivain jouit traditionnellement en Finlande d’un statut élevé, et le système de subventions aux auteurs fonctionne très bien. Les aides sont accordées sous forme de bourses dont la durée peut varier de six mois jusqu’à cinq ans.
Les voix de la littérature finlandaise sont devenues multiples et elles portent de plus en plus loin.
Nina Paavolainen
journaliste et productrice
À gauche: Publié en 1870, le roman d’Aleksis Kivi Les Sept frères est considéré comme le premier roman majeur écrit en finnois.
À droite: L’épopée nationale du Kalevala forme la matière du Kalevala canin pour les enfants, de Mauri Kunnas.
Par sa grande diversité, la littérature finlandaise du début des années 2010 soutient sans difficulté la comparaison avec celles d’autres pays, bien que son histoire soit relativement jeune. La production de l’écrivain national Aleksis Kivi, le premier maître de la prose d’expression finnoise, se situe dans la deuxième moitié du XIXe siècle, à l’époque postromantique. Elias Lönnrot avait fait paraitre le Kalevala, l’épopée nationale finlandaise, en 1835.
À propos du Kalevala, on peut aujourd’hui encore dire que, même si on ne l’a pas lu, ses légendes et ses images continuent d’influer fortement sur l’imaginaire collectif des Finlandais. La version simplifiée du Kalevala pour les enfants (2002, traduction anglaise 2009) et Le Kalevala canin de Mauri Kunnas (nouvelle version 2006) sont toujours des œuvres extraordinairement populaires. Le Kalevala a été traduit dans plus de 60 langues, et le roman le plus célèbre d’Aleksis Kivi, Les Sept frères, reste l’œuvre préférée et le modèle de nombreux écrivains finlandais, où se concentrent les contradictions entre la ville et la campagne, la primitivité et la civilisation, qui marquent depuis longtemps la culture finlandaise.
Comme dans d’autres pays, les plus grosses ventes en Finlande sont réalisées par les romans policiers (Matti Yrjänä Joensuu, Leena Lehtolainen), les thrillers (Ilkka Remes), les sagas familiales (Laila Hietamies) ou par exemple les romans sur des femmes jeunes du milieu urbain dans la veine de la chick lit (Katja Kallio). Fait nouveau, parmi les meilleures ventes figure aussi la bande dessinée finlandaise (avec les personnages de Viivi et Wagner).
En dehors de ces livres, les auteurs finlandais produisent également d’autres œuvres de prose de qualité, dont le style et la thématique cherchent de plus en plus souvent leur inspiration au delà des frontières du pays.
Le roman historique
La littérature finlandaise a toujours été fortement marquée par la conscience historique. Dans les années de l’après-guerre, quand le pays a connu une phase de croissance et que s’est forgée l’unité nationale, la littérature a joué un rôle idéologique et a apporté, jusque dans les années 1970, sa contribution au débat sur la construction de l’État-providence. Avant cela, Mika Waltari avait écrit Sinouhé l’Égyptien, un roman traduit dans des dizaines de langues, et qui, bien que situé dans le passé, se lit comme une description du climat intellectuel de l’époque de sa parution. S’il est devenu un classique, il le doit en grande partie à son approche fondamentalement humaine, et Waltari reste l’un des auteurs finlandais les plus connus dans le monde.
Le roman Puhdistus de Sofi Oksanen (2008, trad. fr. Purge, 2010), l’un des grands succès au niveau international de ces dernières années, réécrit les règles du roman historique. Le cadre de l’action, entre Finlande et Estonie, dans les remous de l’histoire européenne récente, a interpellé les lecteurs jusqu’aux USA, et rien qu’en Finlande le livre s’est vendu à plus de 160 000 exemplaires.
Le succès de Purge s’explique de bien des façons. Il aborde d’une manière hardie l’histoire récente de l’Estonie, peuple frère de la Finlande, et ses interprétations des évènements de la IIe guerre mondiale, des rapports entre conquérants et soumis ont suscité d’abondants commentaires. Les héros deviennent les perdants, et dans la guerre tous éprouvent une perte, dont la moindre n’est pas celle de soi-même.
La narration chez Oksanen ne suit pas la tradition réaliste et elle est portée par un flux de verbes descriptifs qui s’attardent sur les évènements. La voix de la femme omniprésente lève le voile sur un paysage mental dont les expériences n’ont pas pu s’exprimer. Elle donne la parole à un mal-vivre étouffé, que personne n’a voulu écouter, et c’est sans doute aussi pour cette raison qu’il est si facile de s’identifier aux personnages du roman. L’histoire de trois générations de femmes renouvelle et enrichit les thèmes du nationalisme et de la féminitude : le corps et le travail de la femme sont, concrètement et symboliquement, des instruments d’une guerre où soumission, humiliation et honte sont omniprésentes.
Sofi OksanenPhoto: Toni Härkönen
Sofi Oksanen est très représentative de la jeune génération d’écrivains en ce sens qu’elle va volontiers à la rencontre de ses lecteurs, voyage continuellement à l’étranger pour parler de son travail et aborde dans ses interventions des sujets d’actualité. Et de fait, les médias écrivent de plus en plus sur les écrivains en tant que phénomènes plus que sur la littérature, mais cette tendance est aussi alimentée par les mutations du monde de l’édition et les changements de camp d’allure dramatique des auteurs pour un autre éditeur.
Les dernières années ont vu également d’autres exemples de l’éclatement du roman historique, qui a entrepris de traiter avec une problématique plus complexe la construction de l’identité finlandaise au siècle dernier, sujet peu traité auparavant. La trilogie de Jari Järvelä est un bel exemple d’une écriture historique qui élargit son champ d’investigation à l’histoire mentale, comme l’illustre le titre de la dernière partie, Kansallismaisema (Paysage national, 2006). Le héros du roman a l’âge de son siècle, 38 ans en 1938, et occupe la place centrale dans la description par l’auteur de la naissance douloureuse d’une identité commune.
Jari Tervo compte depuis longtemps parmi les écrivains finlandais de premier plan et il a abondamment décrit, avec beaucoup d’humour, le « peuple ordinaire » finlandais, en particulier celui du nord du pays. Trois de ses romans parus entre 2004 et 2008 constituent une trilogie sur l’histoire de la Finlande, qui ne forme cependant pas une suite linéaire. Le premier commence à l’époque de la guerre froide, tandis que le dernier se déroule dans le cadre des années 1920, celles qui ont suivi la guerre civile. En revanche, la trilogie redessine les grands moments de transitions de l’histoire finlandaise contemporaine, qui, selon l’interprétation de Tervo, portent la marque commune de la lutte contre le communisme.
Le premier roman de Leena Parkkinen, Sinun jälkeesi, Max (Après toi, Max , 2009), est une œuvre forte qui fait revivre l’atmosphère du Helsinki des années 1920, mais ancrée dans le monde des idées européen, et qui reprend des interrogations universelles. Les frères siamois Max et Isaac sont les curiosités d’un cirque sillonnant les villes d’Europe. Ils incarnent le thème de la différence et de l’altérité : comment vivre seul et pourtant toujours côte à côte avec quelqu’un ?
Sortir des frontières
L’un des traits communs qui caractérisent de façon très marquée la littérature des dernières années est l’ouverture des jeunes prosateurs vers l’étranger et la facilité avec laquelle ils vont d’un pays et d’une culture à l’autre. Ils ont aussi appris à maîtriser les rapports entre le fonds et la forme.
Dans le deuxième roman d’Elina Hirvonen, Kauimpana kuolemasta (Au plus loin de la mort, 2010), les paysages de l’ouest de l’Estonie de Purge cèdent la place à ceux de l’Afrique sub-saharienne. Le roman est construit sur le dialogue de deux narrateurs, Paul, le Finlandais, et Esther, l’Africaine.
Le roman de Katri Lipson Kosmonautti (Le cosmonaute, 2008) se déroule dans le Mourmansk des années 1980, donc lui aussi loin de la Finlande, à la fois géographiquement et culturellement. Un écolier d’une banlieue soviétique décrépite rêve d’un avenir de cosmonaute, et il est en même temps follement amoureux de sa maitresse d’école. La narration de Lipson s’attarde entre les évènements, là où se passent les contacts humains, avec une maîtrise qui n’est pas sans rappeler les grands classiques russes.
Le roman de Kristina Carlson Herra Darwinin puutarhuri (Le Jardinier de M. Darwin, 2009) se déroule en Angleterre et traite les thèmes de l’histoire des idées du XIXe siècle. Le héros du roman est le jardinier de Darwin, et la vie de la petite communauté villageoise est décrite à travers différents sujets. Le livre de Carlson transporte les grandes interrogations de l’homme moderne dans un potager du Kent.
Miika Nousiainen apporte une contribution tragicomique à l’histoire problématique des relations avec notre voisin de l’ouest, la Suède, dans son livre Vadelmavenepakolainen (Le boat-people des framboises, 2007), dont le héros est habité par une obsession dévorante : devenir suédois. L’humour libérateur fait apparaitre cette idée fixe comme une simple lubie saugrenue. Le roman de Johanna Sinisalo Linnunaivot (Tête de linotte, 2008) décrit la confrontation d’un jeune couple avec les éléments naturels en Nouvelle-Zélande. Occupant une place à part dans cette série, toute la production cristalline de Leena Krohn se rapproche de l’essai philosophique.
Il est réjouissant de constater que la voix d’auteurs issus de l’immigration commence peu à peu à se faire entendre en Finlande aussi, apportant avec elle toute une variété d’expériences nouvelles. Les concours d’écriture sont traditionnellement très populaires dans le pays, et ils permettent de créer un réservoir de nouveaux talents dans lequel puisent les éditeurs. Le remarquable premier roman de la Slovaque Alexandra Salmela, 27 eli kuolema tekee taiteilijan(27 ou comment la mort fait un artiste, 2010) primé lors du concours Mikä ihmeen uussuomalainen? (Comment ça, un « nouveau » Finlandais ?), n’est pas à proprement parler un roman d’immigré, mais il offre une perspective neuve et rafraîchissante sur la société finlandaise d’aujourd’hui.
Angie, l’héroïne du livre, est une jeune étudiante en art de Prague pressée de devenir une célébrité avant son 27e anniversaire – toutes ses idoles, à commencer par Jimi Hendrix, étant mortes à cet âge-là. Grâce à son professeur, elle découvre la Finlande et va y faire connaissance de divers personnages pittoresques de la campagne. Le roman de Salmela s’impose par une facilité déconcertante à changer de registre et une grande maîtrise des différents styles – le tout pimenté d’une ironie qui arrose tout le monde sans distinction. Au concert se joint aussi le benjamin de la famille, un cochon de peluche !
Famille, quotidien et rapports homme-femme
Le roman d’Alexandra Salmela met en scène une mère de famille qui veut être une femme et une mère parfaite et à l’écoute. Le résultat est parfois tragicomique. Ces dernières années, les romans traitant le thème de la famille, du quotidien et des rapports homme-femme ont diversifié leur approche, et sont écrits par des femmes comme par des hommes. Les thèmes se rattachent aux changements sociaux : la crise mondiale, la primauté des valeurs économiques dans le débat public, l’accentuation des inégalités dans la société finlandaise et l’éclatement des valeurs du monde postindustriel sont tous présents dans la prose toute récente.
Le dernier roman de Pirkko Saisio, qui compte depuis longtemps parmi les auteurs littéraires les plus influents, porte le titre révélateur de « Démesure » (Kohtuuttomuus, 2008). Anja Snellman, qui sait analyser avec sensibilité les thèmes actuels, a écrit un roman sur les jeunes filles musulmanes en Finlande, Parvekejumalat(Les dieux du balcon, 2010).
Le livre de Kari Hotakainen Juoksuhaudantie, 2002 (trad. fr. Rue de la Tranchée, 2007) raconte l’histoire d’un homme que sa femme a quitté et qui, pour reconquérir sa famille, décide de restaurer une maison d’ancien combattant. Le mari, qui avait pourtant toujours tout fait pour plaire à sa femme, est totalement désemparé. On y retrouve la recette d’un classique à la sauce finlandaise : un homme, qui serre les dents et entreprend, sourd aux voix de la raison, de régler sa crise conjugale par l’action. Le roman a été un succès phénoménal en Finlande, il a obtenu le Prix nordique de littérature et a également été adapté à l’écran. Dans un autre roman datant de 2009, Ihmisen osa (trad. fr. La part de l’homme, 2011), Hotakainen dresse un sombre tableau d’une vie centrée sur le carriérisme et les résultats, avec l’humour laconique qui est la marque de fabrique de l’auteur – là aussi, la femme, la mère, est souvent le dernier refuge de la raison.
Le roman de Riikka Pulkkinen Totta (La vérité, 2010) est un roman sur l’art, savamment composé, qui met en scène une famille des années 1960. L’un des personnages principaux est une grand-mère, et une épouse, qui dès l’origine a donné systématiquement la priorité à sa carrière. Les autres ont dû s’y adapter et les conséquences sur la dynamique familiale en sont bien plus profondes qu’elle n’aurait su l’imaginer. La bonne d’enfants d’origine campagnarde venue rejoindre la famille incarne les disparités entre la ville et le monde rural, qui ont commencé à s’aplanir seulement avec la première grande génération née dans les villes, précisément dans les années 1960. Construit autour d’un drame triangulaire, le roman de Pulkkinen est aussi une description des mutations sociales des dernières dizaines d’années.
Mikko RimminenPhoto: Heini Lehväslaiho
L’une des descriptions les plus déchirantes de la femme d’âge mûr est le roman de Mikko Rimminen Nenäpäivä (Le Jour du nez rouge, 2010), qui a aussi été l’un des grands succès de vente de son année de parution. L’héroïne de l’histoire, Irma, en mal de compagnie et d’amis, décide de se faire passer pour une enquêteuse effectuant des sondages économiques. Irma peut être considérée comme une Finlandaise typique, qui médite plus qu’elle ne parle et dont la timidité confine à la froideur. Elle n’en est pas moins un être humain moderne sur le modèle universel : désemparée, solitaire, elle tente de se rapprocher des autres. Rimminen est de la génération des écrivains pour qui la langue n’est pas seulement un instrument, mais aussi un objet de réflexion en soi, essentiel. Ce n’est pas un hasard s’il s’est d’abord fait connaître comme poète.
Karkkipäivä (Jour de sucreries, 2010) de Markus Nummi relate un cas social effroyable, où une petite fille endure les pires malheurs. Dans ce livre, une femme hyper-crispée devient la victime de ses propres aspirations. Le personnage central du livre est un scénariste jeune père de famille, décontenancé par son rôle dans la vie professionnelle et familiale, presque complètement bloqué par son incertitude quant aux attentes des autres.
Nina Paavolainen
Les frères Touko (devant à gauche) et Aleksi (devant à droite) Siltala de Siltala Publishing posent avec quelques-uns de leurs auteurs : Pirkko Saisio, Leena Lander, Kari Hotakainen et Hannu Raittila.Photo: Laura Malmivaara
Les frères Touko et Aleksi Siltala ont fondé en 2008 la maison d’édition Kustannusosakeyhtiö Siltala (Siltala Publishing) qui publie environ 25 titres par an. Un peu plus de la moitié sont des œuvres littéraires, les autres des œuvres non fictionnelles. Un quart des titres sont des traductions. Les deux frères ont chacun une expérience de plusieurs dizaines d’années dans le monde de l’édition et ils ont répondu à quelques questions concernant les tendances d’évolution générales dans le secteur.
Nina Paavolainen: Comment les goûts des lecteurs ont-ils évolué et est-ce qu’ils lisent plus d’œuvres finlandaises ou de littérature traduite ?
Touko Siltala:La situation a beaucoup évolué dans les vingt dernières années. Le volume de vente annuel du livre est resté plus ou moins inchangé, mais autrefois il y avait plus de place pour la littérature traduite. De nos jours, on lit moins de traductions de qualité. Les ventes sont plus tributaires de la publicité que de la critique et comme les écrivains finlandais intéressent les médias et occupent souvent le devant de la scène, cela influence grandement les ventes. Les magazines, féminins ou autres, publient de longs articles sur les écrivains.
Aleksi Siltala: Beaucoup de films sont réalisés aujourd’hui à partir de romans finlandais et les droits d’adaptation sont souvent réservés dès la parution des livres. Il n’est pas impossible que cela contribue aussi à l’intérêt que suscitent les auteurs finlandais.
NP: Quel genre de littérature non fictionnelle publie-t-on en Finlande ? Qu’est-ce qui se vend ?
AS: L’histoire politique intéresse les Finlandais depuis toujours, en particulier l’histoire de la Finlande et des pays limitrophes, comme le prouve notamment le succès de Sofi Oksanen. Il semble qu’il y ait un contingent relativement fixe de lecteurs intéressés par ces thèmes. Beaucoup de jeunes, par exemple, ne savent rien de l’Union soviétique et sont fascinés par la guerre froide. De nombreux personnages marquants du siècle dernier, comme Urho Kekkonen, qui fut longtemps président de la République, et le maréchal Mannerheim, continuent de passionner le public. J’ajouterais cependant que l’histoire de la Finlande à une époque plus ancienne commence aujourd’hui à intéresser un public plus large. De même, on s’intéresse aussi peu à peu à d’autres pays, par exemple les œuvres non fictionnelles sur la Chine sont une tendance qui monte.
NP: Ces dernières années, un grand nombre d’auteurs ont changé d’éditeur, alors que par le passé, la fidélité au même éditeur était quasi absolue. Est-ce que c’est la marque d’une évolution du secteur de l’édition ou plutôt de l’attitude des auteurs ?
TS: Les auteurs nés dans les années 1960 et 1970 avaient une tout autre conception des relations auteur-éditeur. Aujourd’hui, les auteurs, s’ils restent évidemment attachés à la qualité de l’éditeur en tant que tel, sont également intéressés par l’aspect marketing et communication, qui doivent être soigneusement gérés. Les auteurs ayant fait leurs débuts par exemple dans les années 1970 avaient une perception radicalement différente : la relation entre l’auteur et l’éditeur était comme un mariage. L’éditeur devait prendre soin de son auteur et lui payer suffisamment d’à-valoir. Le fait que de nos jours un auteur puisse être publié chez plusieurs éditeurs est une bonne chose. L’indépendance est un facteur positif pour un artiste.
AS: Il faut aussi que l’éditeur soit présent et disponible. De nombreux auteurs voudraient que leur éditeur soit comme un éditeur de boutique, qui offre un service, des réponses et des décisions rapides.
NP: Vous avez également une longue expérience dans le domaine des salons du livre étrangers et du secteur de l’édition hors de nos frontières. À votre avis, est-ce que la littérature finlandaise intéresse plus les lecteurs étrangers que par le passé ?
TS: L’intérêt pour la littérature finlandaise a augmenté de façon considérable. Les success-stories finlandaises comme Arto Paasilinna et maintenant Sofi Oksanen ont évidemment ouvert la voie, mais les Pays nordiques comme région géographique sont aussi mieux connus que par le passé. Les confrères étrangers s’informent sur la littérature finlandaise, veulent connaitre les nouveaux noms d’auteurs, avoir une opinion sur les lauréats de prix, toutes choses qui étaient impensables autrefois. De nos jours, il ne paraît plus du tout extravagant d’imaginer que le nom d’un auteur finlandais soit sur toutes les bouches à l’étranger.
AS: Aujourd’hui, dès qu’il a été question de nouveautés à l’occasion d’un salon du livre, il n’est pas rare que des éditeurs étrangers demandent des renseignements sur des auteurs finlandais, avec des intentions très concrètes. L’intérêt pour la littérature finlandaise est réel, et il a énormément augmenté ces dernières années. Le succès de la littérature policière nordique a créé un mouvement porteur.
Deux volumes de poésie finlandaise pour petits et grands : 200 recueils de vers paraissent tous les ans en Finlande.
Le domaine de la littérature finlandaise d’aujourd’hui qui suscite le plus de satisfactions est la poésie, riche et pleine de vitalité. Près de deux cent recueils de poésie publiés par an, voilà qui constitue une quantité de titres exceptionnelle pour une langue comme le finnois. Si les éditeurs traditionnels continuent de publier de la poésie, un nombre non négligeable de parutions sont le fait de petites maisons d’édition et de divers collectifs. L’impression à la demande et le numérique de façon plus générale ont rendu financièrement possible de produire des publications de poésie sur une base communautaire.
Les Finlandais ont la poésie ancrée dans l’âme et le chant teinté de mélancolie est un moyen d’expression typiquement finlandais lui aussi. La poésie populaire du Kalevala, qui était encore chantée dans les chaumières au début du XIXe siècle, pourrait paraître un modèle bien lointain et improbable pour les canaux de diffusion communautaires de la poésie d’aujourd’hui. Il n’en est rien : les soirées de déclamation compassées du début des années 1900 ont, en cent ans, cédé la place à des « poésie-sessions » particulièrement prisées des jeunes, où la poésie monte sur la scène, est dite à haute voix, chantée, associée au multimédia, se voit et s’entend.
Les poètes partent en tournée en province et présentent leur poésie eux-mêmes. Par exemple Heli Laaksonen, qui écrit dans le dialecte de Laitila, draine un public considérable lors de ses représentations, et les tirages de ses recueils se chiffrent en dizaines de milliers.
La télévision n’est pas en reste. Une de ses émissions, la Tribune de critique des poètes, se maintient d’année en année dans les programmes. Le format de l’émission est typique du cru : des poètes présentent des textes nouveaux sous forme de clips vidéo soigneusement réalisés et un jury de profanes, qui change à chaque émission, établit un classement officieux des œuvres vues et entendues. Quelle meilleure manière de faire connaître au public une littérature nouvelle de faible diffusion ?
Le boom de la poésie des années 2000 montre de façon intéressante qu’en Finlande la poésie est restée l’apanage des jeunes écrivains et des jeunes générations de lecteurs. C’est aussi en quelque sorte un « produit d’appel » qui permet aux jeunes auteurs – ce qui veut dire aujourd’hui des auteurs nés dans les années 1980 – de faire leurs débuts littéraires. Plus tard, ils seront peut-être tentés par d’autres genres, et il n’est pas rare que des écrivains finlandais de différentes générations écrivent à la fois de la prose et de la poésie.
Les genres pratiqués dans la poésie d’aujourd’hui montrent parfaitement à quel point les auteurs nés dans les années 1970 et 1980 sont une génération imprégnée des technologies de l’information et de la communication. Les modes de fabrication rendus possibles par Internet et les supports numériques sont utilisés comme base de composition d’œuvres poétiques, et le concept d’objet trouvé, familier aux plasticiens, est mis en pratique à l’aide des moteurs de recherche. Les navigateurs Internet recueillent des matériaux sonores et vocaux sur la Toile, qui sont ensuite travaillés par les poètes. Henriikka Tavi, Teemu Manninen et Harry Salmenniemi sont des représentants de ces poètes intéressés par la langue comme objet matériel.
Il va sans dire que nombre de concepts poétiques de la tradition moderniste finlandaise ont été mis à l’épreuve entre les mains des poètes des années 2000-2010. À vrai dire, la rupture avec l’esprit du modernisme pur et dur des années 1950 était déjà manifeste chez des auteurs de la génération de 1990 : Helena Sinervo, Jyrki Kiiskinen, Jukka Koskelainen, Tomi Kontio et Riina Katajavuori présageaient déjà fortement les aspirations de la poésie d’aujourd’hui à défier la tradition, la forme, la symbolique et la notion de sujet de la poésie moderniste. Leur génération témoigne nettement d’un effort pour écrire en clair les concepts poétiques et les soumettre à la discussion, et faire naître des communautés rassembleuses au sein desquelles travaille la jeune génération de poètes.
En 2011, les discussions se déroulent déjà pour l’essentiel en ligne. Des revues littéraires de très grande qualité sont publiées en Finlande, mais le débat le plus intéressant, le plus curieux de nouveauté, se passe incontestablement dans les blogs de divers écrivains et critiques, dont les meilleurs s’apparentent à des essais de très haute tenue.
Saila SusiluotoPhoto: Pekka Holmström
La poésie langagière d’influence américaine et le post-structuralisme ont été la source d’inspiration de quantité de poètes de la jeune génération. Il n’en reste pas moins que les jeunes auteurs des années 2000 s’intéressent toujours à une expression moderniste revisitée et qu’en ce moment le champ de la poésie est marqué par un éclatement positif et des débats enflammés.
La langue n’est donc pas le seul « sujet » de la poésie : ce qui domine dans les œuvres poétiques, ce sont les problématiques du monde postmoderne et du mode de vie envisagées du point de vue de l’individu. L’omniprésence de la culture visuelle moderne a ainsi servi de motif à la poésie d’Eino Santanen, qui jette un regard critique sur la manière dont les médias et le langage publicitaire deviennent proprement le prolongement de nos sens.
La poésie écrite par des femmes jeunes ouvre aussi une perspective intéressante sur la littérature poétique des années 2000. Rejetant la tradition en matière d’histoire de la femme, elle voit le rapport de la femme à son genre biologique et notamment à la maternité sous un jour positif. Dans les années 1980 encore, la féminité dans la littérature finlandaise, c’était le fardeau biologique du lien avec l’autre sexe, et les auteurs voulaient faire œuvre d’éducation, tandis qu’aujourd’hui Saila Susiluoto, Johanna Venho, Vilja-Tuulia Huotarinen et Juuli Niemi clament haut et fort leur identité de fille et de femme. Le recueil de Huotarinen intitulé « Iloisen lehmän runot » (Poésies d’une vache heureuse) montre que la poésie finlandaise des années 2000 sait aussi faire entendre le rire des femmes.
Mervi Kantokorpi
Dans son roman Camera Obscura, Johanna Holmström raconte une histoire d’écoterrorisme ayant pour cadre Helsinki, tandis que Glitterscenen (The Glitter Scene, à droite) de Monika Fagerholm est une suite de son roman The American Girl (au centre) ; Fagerholm est l’un des auteurs finlandais les plus traduits.
La littérature finlandaise d’expression suédoise mène une existence autonome. Seul un petit nombre des 200 volumes publiés sont traduits en finnois et c’est une quantité encore plus réduite qui parvient sur le marché suédois du livre. La littérature de fiction paraît chez une poignée d’éditeurs, les ouvrages à caractère didactique, documentaire ou de réflexion bénéficiant, eux, de canaux plus diversifiés allant des professionnels de l’édition aux associations locales.
Une littérature conçue pour un public de 300 000 personnes peut difficilement être assez commerciale pour rapporter de grosses sommes d’argent et ceux qui la publient sont donc dans l’obligation de faire rentrer de l’argent en vendant des manuels scolaires ou d’obtenir l’aide financière de fonds privés qui, mis bout à bout, disposent d’un capital dépassant de loin celui de la Fondation Nobel. Ceux-ci considèrent qu’il est de leur devoir de jouer les mécènes en faveur d’une littérature minoritaire tant du point de vue du public qui la lit que de ceux qui l’écrivent : avec la radio, les chaînes de télévision et les nombreux quotidiens svécophones la littérature est en effet l’un des piliers de toute action visant à préserver et développer la langue qui est le ciment de cette minorité.
C’est ainsi qu’on peut résumer une petite littérature en termes sociologiques. Mais d’autres facteurs doivent concourir à la maintenir en vie. Elle doit posséder une certaine aura, un sens de l’identité qui incite sans cesse de nouvelles générations à l’utiliser dans une perspective artistique. Voici quelques-uns des traits qui la différencient souvent des littératures majoritaires tant en Suède qu’en Finlande et dont la tradition est toujours vivante.
Les joies de l’expérimentation
Hannele Mikaela TaivassaloPhoto: Cata Portin
Pour beaucoup d’observateurs, les années 1910 et 1920 sont l’âge d’or de la littérature finlandaise d’expression suédoise. Elle s’est alors inspirée des courants novateurs d’Europe de l’Est et Edith Södergran, poétesse polyglotte élevée dans le milieu lui aussi très polyglotte du Saint-Pétersbourg du début du XXe siècle a ainsi pu créer une forme d’art passionnée, d’inspiration nietzschéenne, en dehors des formes reconnues.
Elle a en même temps introduit l’androgynie : « Je suis un neutre, un page et une décision audacieuse », ce cri retentit encore parmi les jeunes femmes écrivant au début du XXIe siècle. Avec son roman Diva (1998), Monica Fagerholm a introduit dans la littérature de ce pays une silhouette féminine actualisée et d’une audace dépassant les frontières, inventant un personnage ne se laissant pas brider par les conventions et n’hésitant pas à passer à l’acte.
On retrouve des personnages féminins aussi jeunes et audacieux par exemple sous la plume de Hannele Mikaela Taivassalo (Andrei Krapl avait cinq couteaux, 2007), Catharina Gripenberg (« Sur cette diapositive j’ai la tête pleine à craquer de bonheur », 1999, et Le Livre de Södergran, 2007), Eva-Stina Byggmästar (La Trilogie de la joie, 1992-1997), Ulrika Nielsen (Mellan Linn Sand, 2006) et Mikaela Strömberg (Les cousins mystérieux, 2008).
Ces livres se distinguent également par la forme très étudiée de leur narration et leurs poèmes : les marqueurs réalistes sont rares, les rapports de cause à effet ne sont pas soulignés, les strates temporelles se confondent les unes avec les autres, l’attitude adoptée est celle d’une curiosité qui n’a pas froid aux yeux.
Lire ces livres revient à être projeté dans des mondes tout à fait particuliers, régis par leurs propres lois, où de violentes décharges affectives s’intègrent au texte et éveillent également des sentiments très puissants chez le lecteur, de façon surprenante.
Le manque de crimes et d’amour
Kjell WestöPhoto: Katja Lösönen
Malgré la part de cette tradition émotionnelle et expressionniste dans la littérature finlandaise svécophone moderne, on y relève aussi l’absence évidente des vecteurs ordinaires de la littérature sentimentale.
Il y est en effet rarement question de meurtres, de sexe et d’amour, ingrédients de base de la littérature partout dans le monde. Le roman policier n’occupe qu’une place très restreinte, les scènes à caractère sexuel interviennent une fois par décennie et le roman d’amour lui-même n’a pas réussi à prendre racine.
Il ne faut donc pas s’étonner si l’un des deux grands éditeurs finlandais de langue suédoise a lancé, pour 2011, un concours de romans « à intrigue » et si l’éditeur en question a cru bon de rappeler dans une interview qu’un roman n’est pas seulement une subtile œuvre d’art sur le plan linguistique, mais qu’il peut aussi comporter une intrigue passionnante.
Pour dire les choses plus simplement : cet éditeur a besoin d’auteurs capables d’écrire des romans susceptibles d’atteindre des tirages impressionnants, car fort peu de représentants de la littérature finlandaise d’expression suédoise peuvent être rangés au nombre des auteurs de best-sellers. Le seul qui, au cours de la dernière décennie, ait régulièrement suscité l’enthousiasme tant des critiques que des lecteurs est Kjell Westö (né en 1961) et c’est facile à comprendre : il colle de près à la réalité, invente des histoires en chapelet, crée des tensions entre ses personnages et possède un ton très particulier qui fidélise ses lecteurs d’un livre à l’autre.
Pour beaucoup de ceux-ci, c’est un excellent peintre des mutations de Helsingfors, notre capitale, au cours du XXe siècle. Deux autres écrivains qui ont également réussi à retenir l’attention des lecteurs et des critiques pendant de nombreuses années ont pour nom Ulla-Lena Lundberg et Lars Sund, qui ont remonté jusqu’au début du siècle précédent pour ciseler des points sensibles de l’évolution, en proposant aux lecteurs des personnages très attachants.
Avec Monica Fagerholm, ces trois écrivains sont au nombre de ceux qui sont susceptibles de trouver un public dans n’importe quel pays. Monica Fagerholm est d’ailleurs le premier d’entre eux à avoir obtenu le prix August, le plus grand des prix littéraires de la Suède métropolitaine, et à avoir été recommandée par Oprah Winfrey. Elle figure aussi parmi ceux qui sont les plus traduits parmi ses compatriotes contemporains.
Une vie en marge de la réalité
Au début des années 2010, nous pouvons déceler un phénomène nouveau : un mélange d’expérimentation et de réalisme.
En effet, certains membres de la nouvelle génération ont imaginé des hybrides dans lesquels le réalisme le plus strict laisse soudain la place à des phénomènes surnaturels. Des silhouettes « gothiques » effrayantes, des créatures et fantômes médiévaux envahissent chambres d’étudiant, appartements en ville et navires de croisière.
Au nombre de ces voix à la fois jeunes et puissantes, il faut citer Johanna Holmström qui, dans son roman à base de nouvelles Camera Obscura (2009), met en scène des jeunes « terroristes écologistes » de Helsingfors ; mais son récit dévie parfois vers des obsessions qui sont à la limite de l’archaïsme : le loup, animal douloureusement et dangereusement séduisant, y constitue une sorte de leitmotiv. Le premier roman de Stefan Nyman (Anna är online 2008) nous offre aussi une image détaillée de la vie estudiantine et des relations entre jeunes, tandis que des corbeaux font retentir des échos de l’effrayante ménagerie d’Edgar Poe et ouvrent sur l’infini des esprits fragiles en proie à la peur.
Chez les écrivains pour adolescents, très rares au cours des dernières décennies, on voit se creuser les mêmes failles entre un monde tangible et un autre, qui nous entraîne au-delà des sphères du rationnel. Dans leurs livres, Henrika Andersson (née en 1965) et Maria Turtschaninoff (née en 1977) ont créé des univers partagés entre deux sortes de réalité. Un monde inexplicable y parle aux jeunes personnages principaux et reflète la réalité au moyen de silhouettes issues d’une longue tradition folklorique.
Ces livres sont sans doute des effets du boom de la fantasy, mais aussi le prolongement naturel du monde des trolls de Tove Jansson et des délicates histoires d’Irmelin Sandman-Lilius, la Grande Dame de ce genre littéraire, qui nous montre les petites gens de petites villes confrontés, à une époque indéterminée, à des évènements stupéfiants.
Le réalisme n’est sûrement pas une catégorie dont relève la littérature finlandaise svécophone de fiction – mais telle est peut-être la force paradoxale d’une littérature minoritaire : elle crée ses propres univers, à la fois universels et adorés par un fan club secret dont les membres se recrutent dans le monde entier, depuis l’Uruguay jusqu’au Japon.
Maria Antas
Coordinateur de projet et critique littéraire
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Mars 2011