L’industrie finlandaise de la musique live se donne pour objectif de s’affirmer en pointe de la neutralité carbone à l’échelle mondiale. Des groupements professionnels dont la Finland Festivals Association et l’Association of Finnish Symphony Orchestras ont mis en place un partenariat afin de réaliser une étude sur une année sur l’empreinte carbone de leur secteur d’activité. Les initiateurs de cette étude cofinancée par le ministère finlandais de l’Éducation et de la Culture ont dévoilé en 2023 leur feuille de route climat pour la Cool Music (Cool Music climate roadmap en anglais) au club G Livelab d’Helsinki.
La Finlande s’est engagée à devenir neutre en carbone à l’horizon 2035 : c’est pourquoi tous les secteurs de l’économie sont partie prenante de l’effort, ce qui veut dire non seulement l’industrie lourde, mais aussi les secteurs plus « light » comme celui des arts. La feuille de route finlandaise applicable aux événements de musique live appelle à des changements radicaux en matière de conditions d’organisation des festivals et des concerts, et, surtout, de mode de transport pour lequel opter pour rejoindre les sites où ont lieu les événements.
Mettre en œuvre et optimiser
L’analyse de la situation existante a établi un point de référence à partir duquel mettre en œuvre les actions d’amélioration qui s’imposent et a révélé par ailleurs que les voyages représentent plus de 70 % des émissions du secteur.
« Les principales sources d’émissions sont le transport et les achats, y compris la restauration, le marketing et les technologies scéniques », explique Sara Salminen de l’agence Positive Impact, qui a fait partie de l’équipe réunie pour les besoins de l’établissement de la feuille de route. Celle-ci fixe des objectifs pour 2030 et 2035 principalement dans quatre grands domaines : le transport, l’énergie, la consommation et les changements culturels.
« Des objectifs concrets de réduction des émissions peuvent être mis en œuvre sans délai en optimisant la logistique et en choisissant des produits alimentaires d’origine végétale pour la restauration », explique Salminen.
« Les objectifs pour 2030 consistent notamment à faire de l’alimentation végétale la norme dans le secteur de la musique, ainsi qu’à opérer des choix respectueux du climat afin de limiter les émissions des transports, opter pour des énergies renouvelables dans toute la mesure du possible et veiller à ce que tous les acteurs de l’industrie musicale s’engagent effectivement dans la mission climatique commune. »
Des tournées de jazz en douceur
La Fédération finlandaise de jazz, qui organise des concerts dans toute l’Europe, a eu un rôle précurseur ces dernières années à travers ses actions de promotion d’un modèle de tournée à faibles émissions de carbone.
En 2022, le trio de jazz tango Sole Azul a effectué une tournée en Finlande du Nord en se rendant en train en Laponie, une région située à près de 1 000 kilomètres de son port d’attache d’Helsinki. Sur place, les musiciens se sont installés dans une cabane à Kittilä avant de se mettre au volant d’une voiture électrique pour rejoindre leurs différents sites de concert, parmi lesquels figuraient plusieurs petits villages.
« Dans un pays aussi étendu que la Finlande, il est pratiquement impossible de travailler comme artiste professionnel sans faire beaucoup de route en avalant de nombreux kilomètres », explique Harri Kuusijärvi, l’accordéoniste du groupe. « Nous espérons que la neutralité carbone sera bientôt une évidence dans toutes les tournées. »
Même si l’organisation des concerts de jazz a tendance à être plus simple que ceux des orchestres symphoniques ou des groupes de rock les plus populaires, l’industrie musicale a souhaité examiner de près le projet pilote de la Fédération de jazz pour y puiser des idées.
La culture et les arts au sein de la politique climatique
« La plupart des artistes, promoteurs de concerts et organisateurs d’événements étaient déjà très intéressés par l’action climatique avant même notre projet, mais ils manquaient d’outils concrets », explique Raisa Siivola, responsable du projet de tournée de la Fédération de jazz. « La plupart d’entre eux nous ont assuré avoir retiré de notre projet des informations utiles pour l’amélioration de leur durabilité. »
Le plus grand défi, souligne-t-elle, consiste à « transformer les projets en actes ». Il n’est pas si facile de changer sa culture de travail établie ou ses habitudes de consommation existantes. Parmi les autres défis à relever figure la nécessité de sensibiliser les politiques au soutien à apporter aux biens et services immatériels au sein de la politique climatique globale, dont la culture et les arts.
Selon Charles Gil, producteur de tournées internationales et directeur du festival Raahe Jazz on the Beach, « on note une plus grande sensibilisation sur le sujet, mais il reste encore beaucoup de choses à améliorer dans les faits ».
Vélos, autocars et trains
Gil prône le « slow touring », autrement dit un mode de déplacement lent en bateau ou en train, deux options à privilégier autant que possible. Ce choix réduit non seulement les émissions, mais également le niveau de stress des musiciens, ce qui profite indirectement au public. Gil a par ailleurs renoncé à inviter des artistes étrangers en Finlande pour de simples concerts ponctuels.
« Pour le Festival de Raahe, nous engageons des artistes étrangers uniquement s’ils font toute une tournée en Finlande », explique-t-il. « C’est plus compliqué, mais nous n’en sommes que d’autant plus motivés à trouver d’autres concerts ailleurs pour tel ou tel artiste invité dont la présence nous tient vraiment à cœur. »
Grâce au soutien de Gil, le célèbre pianiste de jazz Kari Ikonen a effectué en 2022 une « tournée européenne de piano solo zéro vols aériens, zéro CO₂ » d’un mois avec 14 concerts dans cinq pays, pour laquelle il s’est déplacé principalement en train. Quant à sa tournée à venir en 2024 dans les pays baltes, elle inclura des déplacements en train, en autocar et en vélo électrique.
Ikonen a expérimenté le principe de la tournée à vélo à l’automne 2020 dans la région de l’Uusimaa, en Finlande du Sud, tandis que les restrictions mises en place du fait de la pandémie de Covid limitaient le nombre de spectateurs. « Cette tournée a été très fun et a attiré l’attention des médias locaux », dit-il. « J’ai eu de la chance avec la météo : il n’y a qu’une seule fois où j’ai été obligé de faire sécher mes vêtements trempés dans les coulisses. »
Par Wif Stenger, octobre 2023