Belles, troublantes, étonnantes, en noir et blanc, elles le mettent en scène, lui ou parties de son corps nu, dans des positions souvent improbables, au milieu de paysages naturels. Un travail, réalisé sans aucun trucage, ni manipulation ultérieure, et généralement sans assistance, qu’il poursuit depuis près de 40 ans. Son influence est majeure, notamment en Finlande, où il est à l’origine d’un courant.
Premiers pas d’un jeune finlandais devenu américain
Né en 1945 à Helsinki en Finlande, Arno Rafael Minkkinen quitte sa terre natale à l’âge de six ans, lorsque ses parents décident d’émigrer aux Etats-unis. De Brooklyn, New York, à Bensonhurst, puis Finntown (qui – comme son nom l’indique – accueille nombre d’immigrants finlandais), ils atterissent à Bay Ridge. Il entre en 1963 au Wagner College où il étudie la philosophie et la religion, sous l’influence de son père né au Japon de parents missionnaires, mais change rapidement de direction pour la littérature anglaise, dont il sera diplômé en 1967.
Il démarre sa vie professionnelle comme concepteur-rédacteur dans une agence publicitaire new-yorkaise, une activité qu’il poursuivra une dizaine d’années, dont cinq intensives de 67 à 72 (et qu’il poursuivra en pointillés jusqu’à la fin des années 70). Il y élabore des campagnes pour Peugeot, J & B Scotch, et Minolta, pour qui il conçoit un slogan qui s’avérera prémonitoire :
" What happens inside your mind can happen inside a camera " (Ce qui se produit dans votre imagination, peut se produire dans un appareil photo). Mais Arno Rafael Minkkinen a des velléités artistiques. Il souhaite retourner vers l’univers créatif où ce que vous créez peut durer toute une vie, par opposition à la publicité qui dure tant qu’un produit ou son prix restent inchangés.
Après que sa candidature à la Rhode Island School of Design fut rejetée en 1971, il s’inscrit à un stage d’été en photographie à Apeiron – Millerton, New York. Invité à choisir son professeur parmi des noms tels que Robert Frank, Bruce Davidson, Paul Caponigro, Aaron Siskind, Diane Arbus, il décide de choisir en allant voir leurs travaux.
Troublé par la photo prise par Diane Arbus d’un jeune garçon auquel il s’identifie immédiatement, il la choisi, mais elle décède une semaine avant le début des cours. Il suivra donc celui de John Benson. Jusque là, ses photos étaient celles de paysages, fermes, champs, sans âme… Il prend alors son premier autoportrait, debout, nu, en contre-jour dans le reflet d’un miroir posé dans un champ. La suite appartient à l’histoire.
Il suit ensuite des cours à la School of Visual Arts, est enfin accepté à la Rhode Island School of Design en 1972, pour " poursuivre ce que j’ai fait à Apeiron ", répondra-t-il lorsque son maître d’étude Harry Callahan, lui posera la question.
Arno Rafael Minkkinen enseigne d’ailleurs lui-aussi la photographie, dés les années 70, aux Etats-Unis à l’illustre Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.), en Finlande à l’Institut du Design de Lahti et à l’Université d’art et de Design de Helsinki.
Le corps-nature dans les photographies d’Arno Rafael Minkinen
Opéré dés la naissance d’un bec de lièvre, Arno Rafael Minkkinen s’est toujours senti le vilain petit canard de la famille, une des raisons pour lesquelles sont visage apparaît si peu dans ses photographies. Il se considère comme un affront à sa mère qu’il trouve si belle (la beauté féminine est d’ailleurs un élément prépondérant dans sa vie, qui à la fois le fascine et dont il comprend aussi toute l’ambivalence).
Ses photographies, où il se met en scène nu dans des paysages de nature, où son corps en devient un élément, sont réalisées sans manipulation aucune. La plupart du temps, qu’il s’enterre sous la neige, s’agrippe à un escalier, se penche au-dessus du vide, ou se contorsionne entre les arbres, Arno Rafael Minkkinen travaille seul, soit à l’aide d’un câble déclencheur qu’il peut presser et jeter hors du champs pendant les 9 secondes du retardateur, ou bien garder dans sa bouche (sous l’eau, par exemple). A de rares occasions, il est contraint pour des raisons physiques de demander assistance, mais il contrôle tout le processus amont et donne le signal du déclencheur.
Ni yogi, ni contorsionniste, encore moins bodybuilder, ou exhibitionniste, Arno Rafael Minkkinen met cependant son corps à rude épreuve dans ses clichés. S’il veut bien s’accorder sur le fait qu’il y a une forme d’acrobatie dans sa photographie, c’est bien celle des yeux qu’il souhaite maîtriser. " J’ai même apprit à marcher sur l’eau ", plaisante-t-il lui-même.
Lorsqu’il commence la photographie, en s’allongeant sur un lac gelé, entouré de flammes, nu et seul, le performance-art n’existe pas encore… Capable de prendre des positions inimaginables, et de les tenir suffisamment longtemps pour faire des images parfaites, il ne découvre cependant le résultat qu’après développement. S’il a appris à apprivoiser sa douleur et son corps pour qu’ils obéissent à ses exigences artistiques, il ne fait jamais appel à des modèles, ne souhaitant pas en faire souffrir d’autres. Lorsqu’une autre personne est avec lui sur un cliché, généralement une femme, il s’agit de la sienne, ou d’une amie proche.
Questionné sur l’aspect en apparence répétitif de son travail, Arno Rafael Minkkinen explique que son corps n’ayant pratiquement pas changé en quarante années (difficile aujourd’hui en voyant ses photos de lui donner un âge), la variation qu’il peut lui apporter est celui des paysages. C’est pourquoi il travaille dans tant de pays (Norvège, Finlande, France, Chine, Mexique,…). Il précise d’ailleurs, non sans humour, que quand son corps commencera à montrer son âge, il n’aura pas à voyager autant pour obtenir la diversité d’images qu’il a toujours recherché. Chaque photo est différente, quand il y pense. Sa seule série est l’ensemble de son travail. " A l’instar de Morandi, je suis resté dans la même pièce, j’ai peint essentiellement la même idée, les mêmes bouteilles ".
Quant au choix du noir et blanc, la réponse est tout aussi poétique : " En couleur, je me suis toujours senti tout nu ".
La Finlande, son âme
C’est en 1967 qu’Arno Rafael Minkkinen retourne pour la première fois en Finlande à l’âge de 22 ans. Véritable choc pour cet américain, que de découvrir un pays si lointain, et à la fois si familier. En 1973, lors de son second séjour finlandais, il découvre l’aisance et le naturel avec lesquels est vécue la nudité en Finlande (et qu’il fera siens par la suite), lorsque ses cousines du même âge que lui se baignent en petite culotte sous ses yeux de jeune homme ébahis.
Parmi ses influences les plus importantes, fondamentales même, il cite les peintres finlandais de la fin du XIXe, qu’il a découvert dans les livres que son père a emmenés de Finlande, dont les reproductions sont profondément ancrées dans le subconscient de l’artiste. Akseli Gallen Kallela, Stinberg ou Edelfelt en tête, Arno Rafael Minkkinen est marqué par ces trésors visuels où l’harmonie cotoie la passion, où la douleur est voisine de la beauté stupéfiante.
Un courant photographique lui est aussi attribué en Finlande, avec des élèves – dont il reconnaît aussi l’influence qu’il ont eu sur lui – aujourd’hui reconnus comme Jorma Puranen, Timo Laaksonen, Elina Brotherus, Kimmo Koskela, Veli Granö, Pekka Turunen, pour ne citer qu’eux.
De nationalité finlandaise – officiellement – depuis début 2009, Arno Rafael Minkkinen se considère comme finlandais dans son âme, dans son corps, dans son essence même. La Finlande lui donne la sensation de retrouver sa peau, celle de quelqu’un qui, lorsqu’il retourne à cette nature sauvage, préservée, sait au fond de lui que c’est à cette terre qu’il a toujours appartenu.
Les photographies d’Arno Rafael Minkkinen sont présentes dans de nombreux musées et collections de par le monde. Il est représenté dans nombre de galeries à New York, Boston, Atlanta, Paris (Agathe Gaillard) et Helsinki (Anhava).
A lire:
- Homework – Suomen kuvat 1973-2008 / The Finnish Photographs of Arno Rafael Minkkinen. (LIKE, 2008)
- Arno Rafael Minkkinen, Body Land. (Editions Nathan, Collection Carré Photo, 1998)
Par Sonia Musnier, mars 2009, mise à jour avril 2011