Pantalonnade pour les uns, phénomène artistique pour les autres, le Air Guitar, made in Finland, fait fureur chez les jeunes.
Soyons honnêtes. Qui n’a jamais mimé, radio K7 à fond, raquette de tennis ou balai à la main, debout devant la glace de sa salle de bain, la gestuelle dégingandée du guitariste ?
Qui n’a jamais singé ses excentricités et ses attitudes de poseur ? Au risque d’être surpris par sa mère ou, pire encore, par sa petite sœur (honte suprême) encore engluée dans ses mièvreries (star)académiques. Avouons-le, nous avons tous, un jour, endossé le costume invisible du guitar hero© – la marque est désormais déposée.
Aujourd’hui, il n’est plus besoin de s’enfermer pour donner libre cours à ces mimiques improvisées. Le Air Guitar est une pratique mondialement reconnue et rigoureusement codifiée.
Petit retour en arrière. Les Anglais d’Iron Maiden encouragent déjà, à la fin des années 1970, les fans à se rendre à leurs concerts avec une fausse guitare pour accompagner les soli des deux gratteux.
Mais l’inventeur du Air Guitar – car il en faut bien un – serait, selon les spécialistes et historiens (sic) du phénomène, le rocker Joe Cocker. Celui-ci aurait été, en effet, le premier frontman à s’adonner au plaisir du jeu de guitare… sans guitare.
En 1969, au festival de Woodstock, le natif de Sheffield, mime sur scène le solo de son guitariste pendant l’interprétation du tube With a Little Help From My Friends. La preuve est en images sur le plus célèbre site Internet de partage de vidéos. Quarante ans plus tard, le Air Guitar est en passe de devenir le nouveau phénomène branché, que l’on pratique aussi bien chez soi qu’avec ses potes, lors d’un concert de heavy metal ou réunis autour d’une console de jeux vidéos. On y reviendra.
Toujours prête à surprendre en matière d’innovation, la Finlande a très vite mesuré le potentiel d’un concept qui peut paraître a priori, n’ayons pas peur des mots, particulièrement ringard. Qu’importe, depuis 1996, le festival de vidéos musicales d’Oulu organise chaque année, à l’initiative du département audiovisuel des Arts-Décos, les championnats du monde de Air Guitar, ou Annual Air Guitar World Championship Contest. Le vainqueur de la première " olympiade " se fit remettre une superbe (vraie) guitare Flying Finn ainsi qu’un amplificateur VOX BM offert par le guitariste de Queen, l’illustre Brian May.
Le festival d’Oulu attire chaque année près de 20.000 participants, ainsi que l’attention croissante des médias. En France, les chaînes de télévision (M6, Direct 8, Canal +) et de radio (Europe 2, Le Mouv’) ainsi que les quotidiens et magazines (Le Point, Télérama, La Provence) se sont rapidement intéressés à cet étrange phénomène de masse, lui consacrant une ribambelle de sujets et articles. La preuve d’un succès rapide et mondial.
La Finlande a longtemps trusté les premières places des championnats du monde, avant que la concurrence investisse l’épreuve, surgissant des quatre coins du monde. Des locaux remportent donc le titre suprême à cinq reprises, de 1996 à 2000.
A partir de 2002, les Finlandais disparaissent des palmarès, chassés par des Américains, des Néo-Zélandais, des Néerlandais, des Australiens ainsi que des Japonais qui inscrivent tour à tour leur nom dans le marbre. Sans oublier le Français, champion de monde en 2010 !
L’idée a fait son chemin et séduit d’autres nations. Aujourd’hui, 17 pays organisent des compétitions nationales : la Finlande, donc, mais aussi les Etats-Unis, le Canada, les Pays-Bas, l’Autriche, la Grèce, le Mexique, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suisse, l’Italie, la Slovénie, la Croatie, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et… la France.
Contrairement à votre pantomime parfaitement anarchique face au miroir de la salle de bain, les règles sont très clairement établies lors des compétitions officielles. On ne rigole pas avec le Air Guitar. Le système de notation, à l’instar de celui qui existe dans le patinage artistique, va de 4.0 à 6.0. Les épreuves se déroulent en deux manches. D’abord, chaque participant joue – car il s’agit bien de " jouer " – une sélection d’un ou plusieurs titres de son choix. Durée de l’épreuve : 60 secondes. Ensuite, il doit performer sur un morceau imposé par l’organisateur. Un exercice plus difficile, car ce sont ses qualités d’improvisation qui vont être jaugées.
D’autres codes régissent le bon déroulement de l’épreuve. Le « air guitariste » est seul sur scène, il n’a donc pas le droit de faire appel à un " air batteur " ou à un " air claviériste " pour l’accompagner. Le " air groupe " n’est donc pas (encore) autorisé. Lui-même ne peut mimer qu’une guitare. Celle-ci, cependant, peut être électrique, acoustique, ou les deux en même temps. Les éléments comme les amplificateurs, les pédales ou autres effets de distorsion sont proscrits. Seul l’usage du médiator peut être exceptionnellement toléré. La liberté de l’interprète est totale pour ce qui concerne sa tenue vestimentaire.
C’est d’ailleurs un des éléments clefs d’une performance qui se veut exclusivement visuelle. Face à la scène, le jury, composé de musiciens et de journalistes, apprécie la prestation du joueur et note ses performances selon des critères très précis.
Trois éléments sont pris en compte : le talent technique, qui doit être le plus réel possible ; la prestance scénique (charisme, communication avec le public) ; l’originalité de la prestation, critère le plus subjectif. Certains artistes se sont fait un nom dans cet univers très rock n’ roll du mime. Björn Türoque (a.k.a. Dan Crane), plusieurs fois récompensé lors d’événements phares, a d’ailleurs publié un ouvrage sur sa carrière d’air guitariste (To Air is Human : One Man’s Quest to Become the World’s Greatest Air Guitarist).
La pratique du Air Guitar n’a pas manqué d’interpeller le monde de la recherche. Ainsi, un groupe d’étudiants de l’université technologique d’Helsinki a développé un système qui permet de retranscrire en musique les gestes du air guitariste. Intitulé The Virtual Air Project, ce système utilise un ordinateur qui mesure les mouvements des mains dans le vide. La preuve en images. D’autres chercheurs, en Australie cette fois, ont approfondi le concept grâce à un tee-shirt contenant des capteurs gyroscopiques, tout en l’étendant au tambourin et à la batterie. Les concepteurs de jeux vidéos ont aussi sauté sur l’occasion pour capitaliser sur un phénomène qui prend chaque année un peu plus d’ampleur.
Tout le monde, ou presque, connaît aujourd’hui le célèbre jeu Guitar Hero, décliné en de multiples versions depuis sa sortie en 2005 et disponible sur Playstation 2 et Xbox 360. Les joueurs s’affrontent en essayant de reproduire, grâce à une manette au format guitare, les partitions des plus grands groupes de rock et de métal : Nirvana, The Police, Black Sabbath, Guns N’ Roses, etc.
Après tout, pourquoi n’aurions-nous pas droit à quelques minutes de rêve, à défaut de gloire ?
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Par Nicolas Benard, août 2008, mise à jour avril 2011