Le punk finlandais de PKN à l’Eurovision

Le candidat finlandais à l’Eurovision 2015 est unique à tous égards. Il crée aussi le débat dans la presse mondiale.

Le participant finlandais à l’Eurovision de cette année a quelque chose d’unique à tous égards, et il fait aussi dès à présent grand bruit dans les médias internationaux.

Le Concours Eurovision de la Chanson, événement qui attire aujourd’hui jusqu’à 200 millions de téléspectateurs, met à l’honneur depuis 60 ans une musique pop édulcorée et des ballades sirupeuses. Il y eut toutefois une exception en 2006 avec la victoire du groupe finlandais de « monster metal » Lordi, qui fut le premier groupe de hard rock à participer à cette compétition, enregistrant par ailleurs le plus grand nombre de votes jamais émis à l’Eurovision.

Le participant finlandais de cette année, annoncé deuxième du concours par les bureaux de paris à l’heure où ces lignes sont écrites, a vocation à repousser encore plus loin les limites.

C’est la chanson « Aina mun pitää » (« Je dois toujours ») du groupe de quatre musiciens Pertti Kurikan Nimipäivät (littéralement « La fête de Pertti Kurikka », commodément abrégé en PKN) qui a remporté les épreuves éliminatoires finlandaises en vue de la compétition, gagnant ainsi le droit de représenter la Finlande à Vienne à la fin de ce mois de mai.

Une expression de la frustration sociale


Regardez la bande-annonce de The Punk Syndrome, un documentaire consacré aux aventures du groupe PKN.

Non seulement PKN est le premier groupe punk en lice à l’Eurovision, avec d’ailleurs la chanson la plus courte jamais sélectionnée, mais les membres du groupe sont atteints de troubles d’apprentissage ou d’autres handicaps dont l’autisme. Le groupe fut créé en 2009 à Helsinki dans un centre d’apprentissage pour personnes ayant des besoins particuliers : ensuite, PKN effectua plusieurs tournées en Europe et aux Etats-Unis, se faisant une réputation mondiale grâce au documentaire explosif et sans concessions The Punk Syndrome, sorti en 2012 et qui a remporté depuis une belle brochette de nominations et de prix.

Ce film nous montre comment ces quatre hommes se servent du punk pour exprimer leurs frustrations à l’égard des systèmes sociétaux : le chanteur Kari Aalto y hurle des paroles du type « Je ne veux pas vivre en institution/J’ai besoin de respect et de dignité dans ma vie », ou encore « Je hais le Parlement/Je hais ce monde ! »

Le guitariste Pertti Kurikka éprouve parfois des difficultés à parler mais prend littéralement feu quand il joue de son instrument. Le musicien compose aussi des paroles et des poèmes pouvant être crus voire parfois dérangeants ; certains de ses textes et illustrations ont été publiés à l’étranger et repris sur des sites web comme The Quietus, un site dédié au rock et à la culture pop.

Les membres du groupe soulignent le fait qu’ils n’ont aucune intention de changer de style pour cause d’Eurovision : dès lors, le spectacle de ces quatre quinquagénaires en blouson de cuir et à l’apparence peu soignée beuglant leur musique punk des années 70 au milieu du décor un peu clinquant de l’Eurovision, style boule à facettes disco, aura certainement quelque chose d’assez surréaliste.

Les médias notent l’esprit authentiquement punk de PKN

PKN a un son de marteau-piqueur par rapport aux musiques ouatées qui caractérisent l’ambiance générale de l’Eurovision.

PKN a un son de marteau-piqueur par rapport aux musiques ouatées qui caractérisent l’ambiance générale de l’Eurovision.Photo: Sony Music

L’annonce qu’un groupe aussi éloigné de la musique pop grand public s’apprêtait à faire irruption avec la vigueur d’un marteau-piqueur au milieu de l’univers ouaté de l’Eurovision a éveillé l’intérêt des médias.

Bien avant que PKN se soit qualifié aux épreuves finlandaises pour l’Eurovision, les pionniers du punk US Dead Kennedys avaient signalé un article sur leurs homologues finlandais au million et demi de fans qui suivent leur actualité sur Facebook. Paru sur le site Death and Taxes, l’article en question faisait l’éloge de PKN, même si ce texte mentionne à tort que « les membres du groupe finlandais sont tous porteurs de la trisomie 21 ». Les commentaires des lecteurs du site saluaient les quatre musiciens punk finlandais pour leur capacité à incarner l’authentique esprit initial du mouvement, opposé à toute autorité et prônant le principe do it yourself (« faites-le vous-même »).

Le site de la chaîne de télévision 3News New Zealand a qualifié PKN de « premier groupe de punk pur et dur à participer au Concours Eurovision de la Chanson », tandis que le Toronto Star écrivait : « Je pense que nous pourrons tous être d’accord pour soutenir la Finlande » et que le très populaire site américain Buzzfeed renchérissait : « Ils font vraiment du rock. » Quant à la station Fox News de Birmingham en Alabama, elle s’est enthousiasmée sur PKN en qualifiant leur chanson sélectionnée pour l’Eurovision de « morceau frénétique d’une durée de seulement une minute vingt-cinq. »

Selon le journal roumain Adevărul, « ce choix exceptionnel pourrait changer pour toujours le regard porté au sein du show business sur les personnes affectées par des handicaps. »

Le chemin du Parlement

Les échos de la sélection de PKN pour l’Eurovision 2015 semblent être parvenus jusque dans l’enceinte du Parlement finlandais.

Les échos de la sélection de PKN pour l’Eurovision 2015 semblent être parvenus jusque dans l’enceinte du Parlement finlandais.Photo: Markku Ulander/Lehtikuva

Pendant ce temps, le quotidien britannique The Independent a publié un article insistant d’une façon pouvant prêter à confusion sur le fait que PKN visait l’Eurovision « pour tenter de sensibiliser toujours plus » le public à la cause du handicap. Dans une interview à la BBC, le bassiste Sami Helle a tempéré ce point de vue.

« Nous n’avons pas pour objectif premier de changer les attitudes », a-t-il déclaré. « Notre premier objectif est d’aller là-bas pour faire une bonne performance sur scène, en mettant l’accent prioritairement sur la musique. »

Ceci n’a toutefois pas empêché Helle, qui indique souhaiter entrer en politique, de se rendre récemment au Parlement finlandais pour un échange avec plusieurs députés sur la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Cette rencontre eut d’ailleurs lieu le jour même où le législateur finlandais a approuvé à titre provisoire les dispositions de la convention, une décision intervenue après sept années de report du vote du Parlement sur ces questions.

« Je ne me suis jamais senti égal dans ce pays, alors c’est une journée importante pour moi », a dit alors Helle. « Cette journée, nous l’avons attendue. »

Par Wif Stenger, mars 2015