Johanna Gullichsen – le tissu dans tous ses états

Farouchement opposée à la consommation à outrance et au gâchis, Johanna Gullichsen crée des produits pérennes de qualité fabriqués en petites séries en Finlande.

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Rencontre avec une femme créatrice-artisan dans son appartement parisien pour un retour complet sur un parcours atypique.

Rencontre avec une femme créatrice-artisan dans son appartement parisien, pour un retour complet sur un parcours atypique. Farouchement opposée à la consommation à outrance et au gâchis, Johanna Gullichsen crée des produits pérennes de qualité (lin, coton, laine) fabriqués en petites séries en Finlande.

Imaginative et douée de ses mains, elle suit ses envies et ses intuition, ce qui lui réussi. Rencontre avec cette femme mi-créatrice-artisan dans son appartement parisien pour un retour complet sur un parcours atypique.

Johanna Gullichsen conçoit des tissus, sacs, linge de maison et décoration d’intérieure (housses, coussins,…) originaux, soignés et durables. Chez elle, il est possible de retrouver des modèles vieux de plusieurs années pour compléter ou remplacer les anciens. Créatrice libre, en marge de la mode et de la volatilité du marché avec ses collections qui se succèdent à grande vitesse, elle suit depuis plus de 14 ans maintenant, un chemin tout personnel. Fascinée par les techniques de fabrication et la façon dont elles influencent l’aspect, le toucher, les motifs et la trame d’un tissu, son travail de création s’appuie autant sur des idées et concepts, que sur des postulats techniques.

Le goût de l’esthétique, d’abord un héritage familial

Petite fille de l’illustre Maire Gullichsen* (1907-1990), un des premiers grands mécène du design finlandais, qui se consacra toute sa vie à la promotion des arts graphiques, du design et de l’architecture finlandais, Johanna a baigné dés l’enfance dans un entourage où l’esthétique, omniprésente, était un sujet de conversation au quotidien. Une grand-mère paternelle qui l’éveille à l’esthétique, quand côté maternel, c’est à l’artisanat qu’elle est sensibilisée. Elle se souvient encore des après-midi passées assise à ses côtés sur son grand métier à la regarder faire des tapis de toutes sortes.

Avec un père ingénieur dans l’industrie de la pâte à papier, une mère femme au foyer, certes peintre amateur et collaboratrice à la galerie Artek, mais qui n’en fera jamais une carrière (au grand damn de Johanna), un frère ingénieur en informatique financière et une sœur professeur de piano de formation, mais n’exerçant pas dans le domaine, Johanna Gullichsen sera la seule de sa cellule familiale à emprunter la lignée artistico-créatrice.

Des études en zig-zag

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Johanna Gullichsen revendique son parcours d’études éclectique et où les travaux pratiques ont occupé une part importante.

En Finlande, l’entrée à l’université se fait sur concours. Pour JG, le choix s’était porté sur le professorat en arts graphiques. Trois tentatives et trois échecs auront raison de sa persévérance. Des années pendant lesquelles elle suit néanmoins des cours de français, suédois et histoire de l’art à l’université de Helsinki, une expérience certes intellectuellement enrichissante, mais dénuée de sens pratique.

Changement radical de cap, c’est presque par hasard – à la lecture d’une annonce – qu’elle décide de partir étudier l’art du tissage à l’école d’artisanat de Porvoo, seul cursus qu’elle mènera à son terme. Fascinée par les techniques de tissage enseignées, elle y regrette cependant le manque de réflexion créatrice. Un constat qui jalonnera ses autres tentatives d’études qu’elle enchaîne à grande vitesse. Elle fait ainsi un passage par un centre de formation continue en dessin, sculpture, arts graphiques et impression sur textile avant d’atterrir à Vaasa – où elle suit son petit ami de l’époque – dans une école de menuiserie.

Elle y découvre l’art de la fabrication, récupération et restauration de meubles en bois. Un " bagage " qui apporte de l’eau à son moulin de bricoleuse et lui permet aujourd’hui de réparer seule son métier à tisser lorsque celui-ci est endommagé. Il lui arrive d’ailleurs souvent d’y utiliser des objets trouvés dans la rue, " faire les poubelles " étant un de ses plus grands plaisirs… De retour à Helsinki, elle tente encore une école de tapisserie, mais l’interrompt pour démarrer sa vie professionnelle..

Un pied en France, l’autre en Finlande

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Elle se lance donc dans la création de tissus et transforme une ancienne boutique nichée dans une petite rue d’Helsinki en atelier, qu’elle l’ouvre à la clientèle en 1994. Le succès ne s’y fait pas attendre, mais Johanna a la bougeotte.

En 1995, après plusieurs séjours à Paris, elle obtient une résidence de création à la Cité des Internationale des Arts. Ces quelques mois parisiens la décident à s’installer à demeure, sans aucune idée quant à la façon d’y travailler par contre. Inspirée par les ateliers-boutiques du Marais, elle s’aperçoit rapidement des prix prohibitifs et est sur le point d’abandonner. C’est une petite-annonce d’un vieux couple d’antiquaires à la recherche de la bonne personne pour reprendre sa boutique rue du cherche midi qui changera sa destinée. L’affection mutuelle est immédiate et Johanna s’installe en 1997, après 4 mois de travaux, dans ce quartier qu’elle ne connaît pas, et ne quittera plus. Côté Helsinki, la petit boutique laisse place en 2001 à un beau magasin au cœur du quartier des créateurs, le Marais de Helsinki, belle revanche somme toute !

Des collaborations fructueuses

Paris est une petite ville dans le milieu créatif, qui plus est finlandais. Il ne faudra donc pas longtemps pour que Johanna Gullichsen et Anna Ruohonen**, créatrice de vêtements elle aussi finlandaise, fassent connaissance. Leurs démarches créatives, comme les choix qu’elles opèrent (durabilité et qualité de leurs productions), s’avèrent rapidement compatibles et se concrétise par une amitié solide.

Leur collaboration, elle, démarrera sur une frustration : Anna Rouhonen souhaitait créer une collection réalisée dans les tissus rayés des costumes traditionnels finlandais, mais leurs couleurs originales étaient fades. Johanna lui propose de faire fabriquer un tissu original à partir de modèles qu’Anna crée en enroulant des fils de couleurs sur un papier. Une grande réussite, que Johanna Gullichsen déclinera la saison suivante en changeant les compositions de couleurs des rayures. Seul hic, le coût de fabrication élevé de ces tissus qui les oblige à vendre cher. Elles décident de partager les risques, de créer un label commun AR’JG et de travailler des tissus moins onéreux. Depuis, leurs créations suivent toujours le même postulat : les mêmes modèles sont déclinés une saison sur l’autre, les variations se faisant sur tissus et coloris, comme ces cotons fins de deux couleurs réversibles fabriqués en Suède.

Somme toute, JG allie goût, talent, liberté et éthique professionnelle, une combinaison suffisamment rare pour être saluée !

* Co-fondatrice avec Aino et Alvar Aalto, de la compagnie et de la galerie Artek en 1935, avec pour vocation de combiner art, technologie et science pour créer des objets du quotidien alliant esthétique, qualité et pratique, elle co-fonde la même année la Free art school, école d’art moderne, où elle étudia elle-même.

Lien : (en anglais)

Par Sonia Musnier, janvier 2009, mise à jour avril 2011